Critique publiée sur Kultur & Konfitur.


Friand amateur de Duck Soup, ce n'est qu'après quelques minutes à regarder le film que l'étincelle s'est faite sur le nom de ce réalisateur. Il faut dire que le film de 1933 est tellement incarné par les Marx Brothers qu'on en oublierait presque qui est aux commandes. Si ça n'a pas fait tilt tout de suite à la vue du nom du réalisateur, c'est par l'humour qui, dès le début, fait mouche, que ça a réveillé quelque chose en moi qui m'était familier, preuve s'il en était besoin que Duck Soup a bien sa patte et n'est pas le seul fruit des gags des Marx.


Pas de Marx ici donc, éventuellement un chouïa de Karl pour l'aspect lutte des classes (domestique vs. maître), qui est finalement mise de côté au profit de la lutte des cultures (anglo-saxonne vs. américaine). Ruggles, Colonel ou Marmaduke, est un domestique dont la famille est fidèle depuis des générations aux mêmes maîtres, consciencieuse et restant bien à sa place. Marmaduke est joué et perdu par le comte Burnstead (un jeu américain gagné par des "parvenus" américains pour gagner un domestique anglo-saxon). Retour aux Etats-Unis, où si la langue est la même et la compréhension possible (McCarey joue d'ailleurs sur les différences entre anglais et anglais américain : séparation par une même langue), les cultures se confrontent et Ruggles doit s'adapter. Il n'est pas le seul, d'ailleurs, qui doit changer. Nouvelle condition pour le couple Floud, et si la femme tente à tout prix de correspondre à l'image de ce nouvel échelon, Egbert lui garde un pied dans son ancienne condition où il se sentait bien plus libre.



Leo the Lion



McCarey se moque un peu de cette culture américaine qui ne se base pas sur une Histoire aussi longue que celle du vieux continent (vieille théorie des Etats-Unis dont la culture n'existe pas mais n'est que le fruit de ceux venus les peupler). Mais en dépit de cette durée raccourcie, le peuple américain a déjà oublié ses fondamentaux que Ruggles, "stranger in a strange land", s'empresse de leur rappeler lors de cette fantastique scène du monologue où il récite le discours de Gettysburg fait par Lincoln et qui vaut, pour lui seul, le visionnage du film. D'autant que ce moment assez solennel est désamorcé par avance pour ne pas en faire trop par la scène où le bar complet tente de se rappeler ce qu'est ce discours. Séquence assez longue qui aboutit avec merveille à ce final.


Des scènes qui valent le coup, il y en a bien sûr plus d'une. Dans chacune, il y a ce petit quelque chose qui les rend utiles. Le comique est à la fois dans les dialogues, mais aussi beaucoup dans les situations, et surtout dans la combinaison des deux. Mais une bonne écriture ne suffit pas, et il faut les interprètes pour servir cet humour. Pas de souci de ce côté-là non plus, Laughton excelle en domestique au visage candide et naïf, qui découvre ce que peut lui offrir ce pays, qui lui offre la possibilité de sortir de l'héritage de ses pères. Si le choix est difficile (sentiment de fidélité qui s'oppose à celui de désir individuel), Laughton transfigure Ruggles dans la dernière séquence dans laquelle, son choix étant fait, il s'affirme et réalise ce que ses amis américains ont eu plus de mal à faire, enfoncés dans cette tradition de potentiel à réaliser qu'ils oublient par le poids de la coutume. L'étranger, lui, la découvre et sait en profiter, même si cela lui coûte. Dernière séquence d'ailleurs splendide, différemment de celle suscité, mais elle alterne l'élimination de l'opposant principal qui voulait se débarrasser de Ruggles (confiance en soi et encore une fois prise de décision, Ruggles s'est affirmé comme américain et patron), coup de théâtre attendu de la part du comte du vieux continent qui lui aussi cède aux charmes du nouveau, et dernière scène de mise à l'honneur de Ruggles à l’émotion très forte.


Laughton n'est pas le seul à briller. Les second rôles, bien qu'inégaux et ne bénéficiant pas tous de la même mise en valeur, sont brillants et très bien écrits également, du comte qui perd ses moyens face à la belle Nell au nostalgie Floud qui ne veut pas changer avec sa condition sociale, en passant par sa femme qui elle veut à tout prix se séparer de l'ancienne fange dans laquelle baigne son mari et le mettre à sa place.


En moins d'une heure trente, McCarey alterne les moments de franche poilade, l'humour fin et toujours à propos, mais sait aussi distiller l'émotion sans jamais en faire trop ni la faire tomber comme un cheveu sur la soupe pour avoir son quota. Tout est dans un dosage subtil qui, à chaque scène, fonctionne à plein.

Créée

le 14 juil. 2014

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Flavien M

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