Ce portrait romantique du magnat d'un empire industriel et journalistique, m'avait surpris quand je l'avais vu car à cette époque, j'étais ado et je courais voir les films de Belmondo qui était une de mes idoles ; seulement, on n'avait ni magazines ciné, ni internet pour nous informer, on allait direct au ciné et parfois on ressortait déçu. Ce fut le cas avec L'Héritier que Belmondo a tourné juste après le Casse, je pensais donc que ça allait être un autre polar d'action à la Bébel... eh ben non, j'avais tout faux.
Le film marche sur les traces de Citizen Kane ou de Bas les masques, réalisé par un féru de culture américaine ; en effet Labro avait été étudiant aux Etats-Unis, il en a capté des particularismes qui échappent parfois aux Européens, et son Bart Cordell est un magnat à la Kennedy, stylé et charmeur, une star incarnée par une star du cinéma français. A cette époque, Belmondo qui était catalogué par une certaine presse intello comme un gentil voyou en blouson de cuir et casquette, souhaitait varier un peu son registre. Ce rôle de Bart Cordell, héritier d'une grande famille, élevé à Harvard, mélange d'ironie, de séduction et de charisme, contrastait violemment avec le Bébel des films de Verneuil, et Belmondo prit le rôle très à coeur, s'impliquant dans le personnage, comme il le fera 2 ans plus tard dans Stavisky.
Le résultat fut en demi-teinte, le film fut bien accueilli par la presse et un certain public, mais les gars comme moi qui constituaient une frange de fans admiratifs de ses exploits "carambolesques", en sont sortis surpris et déçus, il n'y avait pas de poursuite, pas de bagarre, pas de bons mots, un rythme plus lent... Revu aujourd'hui, le film a pris du plomb dans l'aile car il décrit un monde d'affairistes et de magouilles un peu dépassé, le monde des affaires a bien changé, mais c'est surtout un fourre-tout qui méritait un peu plus de doigté s'il avait eu l'ambition de dépeindre vraiment la névrose du pouvoir. Les intentions sont donc floues et mal définies, et malgré un relatif intérêt pour le monde politico-social de l'époque hésitant trop entre l'étude psychologique et le thriller machiavélique, l'ensemble s'englue dans trop de tergiversations et de lenteur. Le seul plaisir est d'y voir un Belmondo différent de ses rôles habituels de fanfaron exubérant, entouré d'un escadron d'excellents comédiens comme Jean Rochefort, Charles Denner, Carla Gravina, François Chaumette, Michel Beaune, Jean Martin ou Jean Desailly... dont la plupart se retrouveront dans les films suivants de la star. Je comprend cependant que l'acteur ait voulu changer de style de rôle, c'est louable de sa part et courageux.