Nous sommes à Saint-Omer (Pas-de-Calais) où Michel Racine (Fabrice Luchini, très juste) préside la cour d’assises. Monsieur le président (et pas juge) rappelle-t-il régulièrement aux témoins (précision qui tourne au gag de répétition). Attention donc aux conclusions trop faciles, si le nom Racine tire vers la tragédie, de nombreux détails font néanmoins sourire.


Affaire en cours, Martial Beclin (Victor Pontecorvo), la trentaine, est accusé d’avoir tué sa petite fille de 7 mois à coups de rangers. Concrètement la petite souffrait d’une malformation dans la partie basse de l’estomac et elle pleurait jour et nuit. La plaignante n’est autre que la mère de l’enfant, Jessica Marton (Candy Ming).


D’emblée on sent que l’affaire est trouble. Les parents de la victime sont de pauvres gens qui n’ont pas grand-chose pour eux. Éducation minime, vocabulaire limité, présence dans un lieu où ils ne sont pas du tout à l’aise et une situation qui les dépasse. Comme si la parole ne pouvait que lui être défavorable, l’accusé a décidé de se taire pendant l’audience. Quand le président l’invite à parler, buté il répète inlassablement « J’ai pas tué Mélissa »


Mais L’hermine n’est pas qu’un film de tribunal. S’il montre le fonctionnement de l’appareil judiciaire français, il pourra en laisser sur leur faim, puisque l’histoire (scénario original de Christian Vincent) ne montre ni la plaidoirie de l’avocat, ni le réquisitoire du ministère public, ni les délibérations du jury. Par contre, le verdict incite à se poser les bonnes questions, le comment et le pourquoi. Puisqu’on a vu les jurés discuter et réfléchir entre eux, on se met à leur place au moment de décider et on vérifie l’inconfort de leur position.


Parmi celles et ceux qui participent au fonctionnement de la justice, Michel Racine a sa réputation (président à deux chiffres, sous-entendu il n’hésite pas à prononcer des condamnations de 10 ans ou plus). On le craint, ce qui n’empêche pas les rumeurs de circuler sur son compte (il se montre subtil pour en faire taire certaines). Sa vraie faiblesse, c’est son couple qui bat de l’aile. Vieillissant, il garde de petites séquelles d’un accident qui lui a valu un séjour à l’hôpital. Un épisode qui le rattrape inopinément quand il lit le nom de Ditte Lorensen-Coteret (Sidse Babett Knudsen) comme juré. Cette femme, médecin-anesthésiste, lui a tenu la main à son réveil après l’opération. Moment inoubliable pour le président Racine, début d’un amour platonique qui a semble-t-il culminé lors d’un dîner à quatre personnes (parfaitement rendu alors qu’il n’est que raconté).


Le film montre comment la personnalité du président du tribunal (sans oublier celles des différents protagonistes, accusé, plaignante, avocats, jurés) influe sur le cours de la justice. Autres influences possibles : les vies des uns et des autres, leurs façons d’être, les relations qui se nouent entre eux. On voit ainsi comment le groupe des jurés évolue. Comme au théâtre, chacun trouve son rôle (le leader, le dragueur, les bavards et les discrets, les suiveurs, les raisonneurs, les crédules et les cyniques, celles et ceux qui font preuve de bon sens pour cerner les contradictions dans les témoignages, les hommes, les femmes avec leurs milieux sociaux, leurs origines, etc.)


Parmi les moments forts du film, celui où le président Racine vient trouver les jurés pour leur faire comprendre ce qu’on (il ?) attend d’eux, pas la recherche de la vérité que seuls les parents de la victime connaissent (et encore, certains doutes subsistent), plutôt une décision qui permettra de faire en sorte que la loi s’applique. Faire en sorte qu’il reste clair que certaines choses sont interdites et qu’en cas d’infraction, des sanctions sont prévues par la loi et que la cour d’assises est là pour les appliquer.


Bien entendu, c’est froid et très carré. Une vision de la justice vue par quelqu’un qui se veut impartial tout en gardant l’esprit suffisamment libre pour vivre sa vie. Cette attitude se heurte au souvenir de ce qui lui reste de son hospitalisation. Ditte exerce elle aussi un métier difficile, ce qui ne l’empêche pas d’y mettre tout son cœur. Effet indélébile sur le président Racine, capable (coupable ?) d’une entorse à l’éthique pour renouer avec la charmante Ditte.


Même si le réalisateur se permet quelques coups de théâtre, il filme très sobrement. Globalement les couleurs sont neutres, les cadrages et mouvements de caméra sont sages, ce qui ne l’empêche pas de montrer ce qu’il veut. Exemple avec le bout du nez de Candy Ming qu’on voit remuer dès qu’elle parle et qu’elle est de profil, instillant le doute sur son témoignage.


Pour son dixième long métrage, 25 ans après La discrète, Christian Vincent retrouve Fabrice Luchini (avec qui il partage de belles récompenses à la 72ème Mostra de Venise : prix d’interprétation pour l’un, du meilleur scénario pour l’autre). Remarque au passage, Fabrice Luchini a des origines italiennes, son père est né à… Assise ! Très beau choix également avec Sidse Babett Knudsen repérée par le réalisateur dans la série Borgen. L’actrice se montre irrésistible, à la fois sereine mère d’une jeune fille de 17 ans bien de son époque (Eva Lallier) et femme qui dégage une irrésistible empathie toute de douceur et de bienveillance. Remarquée également, Corinne Masiero très à l’aise dans son rôle de juré qui allie gouaille et bon sens. Enfin, dans une BO discrète, la chanson Dreamers de Claire Denamur est une révélation.

Electron
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le 26 nov. 2015

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