Le temps presse. Le monde ne tourne plus rond, la peur grandit, la fin semble approcher, inéluctablement. Après l’avoir manquée il y a quelques mois, il était enfin temps de se régler sur la bonne heure, L’Heure de la sortie.
Une classe passe un examen, tout ce qu’il y a de plus normal. Le professeur les regarde depuis le fond de la classe. Il regarde le ciel, baigné de lumière par un chaud soleil d’été. Il regarde sa classe. Puis il ouvre la fenêtre, et se jette. Stupeur, effroi, incompréhension. En quelques instants à peine, le ton est donné. Alors que nous sommes dans l’inconnu le plus total, Pierre, professeur remplaçant, vient prendre la place de l’infortuné professeur qui vient d’attenter à sa propre vie. Pierre va alors être notre éclaireur, celui qui va aborder de manière frontale ce monde que l’on découvre, cette école, cette classe, leur étrangeté, leur hostilité. Qu’est-ce qui est en train de se tramer ? Quel est cet étrange mystère qui règne dans cette classe et dans ces couloirs ? Du mystère, L’Heure de la sortie fait son cheval de bataille, pour nous donner une bonne leçon.
Le film met rapidement en confrontation le professeur et ses élèves. Le premier cherche à les découvrir, à prendre ses marques pour se familiariser avec eux. Les seconds sont beaucoup plus sûrs d’eux, fermés, impétueux. Naturellement, leur attitude hostile ne nous invite pas à avoir de la sympathie pour eux, quand nous sommes davantage en phase avec l’état d’esprit du professeur, un brin désorienté, et cherchant à tendre une main malgré les refus. Mais ils ont certainement une bonne raison d’agir ainsi, au-delà de celle d’être des élèves brillants qui manifesteraient une forme de sentiment de supériorité. L’Heure de la sortie agit comme une vraie leçon, suscitant notre attention, nous gardant attentifs, non pas pour faire la morale, mais pour nous faire prendre conscience. Et alors que le professeur est celui qui doit enseigner et faire apprendre, c’est des élèves qu’il va lui-même apprendre.
En effet, le portrait a priori négatif qui est fait de ces élèves ne vise pas à nous pousser à les haïr, mais à nous confronter à notre propre mauvaise compréhension ou ignorance d’un mal-être latent chez la jeunesse actuelle. Quelles perspectives avenir avoir dans un monde où l’on parle tous les jours de sa fin ? Qu’espérer dans un monde qui ne cesse de repousser la priorisation des enjeux écologiques et qui poursuit sa propre destruction ? Que faire quand les cris de désespoir ne sont pas entendus ? Les réactions des deux professeurs sont symptomatiques de la réception de ces craintes. Le premier tente de se suicider pour ne plus faire face à cette situation, quand le second fait preuve d’une défiance croissante, considérant ces enfants comme des ennemis. L’Heure de la sortie joue avec le spectateur sur ce point, pour que l’activation du contrepoids soit encore plus brutale. Le film parvient à retranscrire, avec beaucoup de justesse, les mécaniques de la peur, entre isolement et renfermement, et l’incapacité du plus grand nombre à entendre et à comprendre cette peur. Alors, pendant qu’ils sont insultés par leurs camarades et incompris de leurs professeurs, ils continuent leurs étranges rituels dans cette mine désaffectée, symbole de la destruction de l’homme par l’homme, vestige d’une civilisation elle-même au bord de l’extinction.
Présenté comme un thriller, L’Heure de la sortie parvient à établir une ambiance curieuse, presque malsaine, nous enfermant dans ce microcosme où les comportements irrationnels se multiplient, où l’on perd nos repères. Car, dans un tel climat de panique et d’inquiétude, on ne peut qu’être désorienté. Sébastien Marnier, qui réalise ici son second long-métrage, se présente comme un témoin éclairé, plus que comme un juge moralisateur, appuyant où ça fait mal, ne cherchant pas à juger, mais surtout à éveiller les consciences. Alors que le cinéma français est toujours critiqué, souvent pour de mauvaises raisons, L’Heure de la sortie montre qu’il nous a proposé de très bons films cette année, et celui-ci figurera sans aucun doute parmi ceux qui m’ont le plus marqués cette année.
Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art