Quel plaisir de voir George Miller succéder à Wolfgang Petersen six ans plus tard pour donner une suite à L'Histoire sans fin. Le grand réalisateur australien à qui l'ont doit le cultissime Mad Max, créateur de formes, véritable génie pour mettre en scène des courses-poursu... Comment ça ? Ah, on me signale dans l'oreillette qu'il ne s'agit pas du célèbre cinéaste du pays des kangourous mais de George Trumbull Miller, réalisateur écossais naturalisé australien, responsable des pas très connus L'Homme de la rivière d'argent et Vol d'enfer avec le célèbre Christopher Superman Reeves. Après un petit succès d'estime pour le premier et une indifférence générale pour le second, l'homme enchaîne deux jolis bides avec Les Patterson Saves the World et Bushfire Moon. Malgré une décennie avec des hauts et des bas (mais surtout des bas), Miller se retrouve donc à la tête de ce projet. Difficile de trouver aujourd'hui les sources pour comprendre ou expliquer ce choix. Nanti d'un budget de 25 millions de dollars, à l'instar du premier opus, et d'un tournage de 99 jours, il réalise une séquelle bien inférieure à son modèle et qui sera un échec au box office. Encore un pour l'ancien écossais.
Le récit, toujours basé sur l’œuvre de Micheal Ende, inclut un élément qui avait été volontairement et intelligemment écarté lors de la première adaptation : la sorcière Xayide. Personnification du mal et antagoniste immédiatement identifiable, il en résulte des enjeux beaucoup plus manichéens, presque américanisés oserions-nous. Le coup de génie de Petersen avait été d'ôter cet élément pour se consacrer au Néant et son agent Gmork, à une menace d'une puissance d'évocation telle qu'on frissonne à chaque étape du récit de peur de voir notre imaginaire disparaître à tout jamais. Une fois ce danger replacé dans les mains d'un être lambda, difficile de s'impliquer autant émotionnellement.
De plus, le choix est fait ici de plonger Bastien directement à Fantasia pour sauver à nouveau ce monde imaginaire et son impératrice. Fini le jeu de miroir absolument vertigineux du premier film avec Atreyu, place ici à une structure plus linéaire qui en fait dès lors un produit de fantasy beaucoup plus standard et sans saveur. Malgré l'idée intéressante de la perte des souvenirs de Bastien au fur et à mesure de l'avancement de l’histoire, les thématiques plus sombres comme le deuil à endurer ou la peur à affronter disparaissent. Alors oui, on retrouve le problème de la confiance en soi avec Bastien qui a peur de sauter d'un plongeoir de six mètres de haut pour intégrer l'équipe de natation de son école. Mais ce n'est pas la même ampleur scénaristique dirons-nous.
Se greffe en parallèle l'intrigue paternelle complètement à côte de la plaque. A la recherche de son fils disparu, qui a littéralement plongé dans Fantasia on le rappelle, le père court en panique chez le libraire préféré de Bastien pour retrouver sa trace. Que nenni lui dit le gentilhomme, c'est à lui de retrouver son fils en plongeant à son tour dans la lecture effrénée de l'Histoire sans fin. Un brave citoyen ce libraire. On notera au passage que quand le père revient accompagné d'un policier pour étayer sa thèse de la disparition, le magasin est complètement vide, comme si fermé depuis des années. Que les choses soient bouleversées à Fantasia quasi instantanément, oui, c'est le concept de l’œuvre. En revanche depuis quand les milliers d'ouvrages d'une librairie s'évaporent du jour au lendemain dans notre monde à nous de la réalité vraie ? Et ainsi le paternel de se plonger dans les aventures de L'Histoire sans fin lorsqu'il comprend que le livre narre en direct les péripéties de son fils à Fantasia. Un personnage qui passe les deux tiers d'un film à ne pas comprendre l'évidence sous ses yeux c'est énervant. Mais qu'ici il comprenne immédiatement les enjeux dramatiques sans n'avoir jamais entendu quoi que ce soit à propos de l'ouvrage en question ou de Fantasia, c'est peut être l'opposé inverse. Comme dirait l'autre : «ta gueule c'est magique».
Heureusement le film a cependant quelques atouts à faire valoir. Dans le sillage du premier opus, le travail sur les décors et la création du monde de Fantasia est impeccable. Les nouvelles créatures ne sont pas en reste, mis à part Nimbly, oiseau bouffon attachant mais au regard humain beaucoup trop étrange pour ne pas sursauter à chaque gros plan. Mention spéciale aux Géants, sorte de cafards des ténèbres écrasant tout sur leur passage. Les nouveaux acteurs incarnant Bastien (le kid US eighties dans toute sa splendeur) et Atreyu s'en sortent avec les honneurs bien qu'il soit difficile de remplacer ceux du précédent opus. A l'inverse, Clarissa Brut, l’interprète de Xayide, malgré une aura et une présence indiscutables, était sûrement ennuyée par ses lentilles lors du tournage pour nous proposer un tel sur-jeu des yeux digne du cinéma expressionniste allemand.
Bien enrobé mais sans âme, sans temps mort mais jamais émouvant, le film de George Miller rate le coche. Il était difficile de succéder à une œuvre aussi forte qu'est L'Histoire sans fin. En voulant singer certains partis pris du premier opus tout en optant pour des choix discutables afin de s'en écarter, le film ne trouve jamais vraiment sa voie. Dommage aussi que le climax soit si vite expédié alors qu'il amène peut-être la plus belle idée du métrage, celle de donner un cœur aux “méchants” afin qu'ils ne puissent plus l'être. Notre héros sauve Fantasia, rentre chez lui et peut finir en larmes dans les bras de son père. L'imaginaire est sauvé. Et grâce à lui nous pouvons maintenant fantasmer le film qu'aurait réalisé le vrai George Miller. Rien que pour ça, merci à toi Bastien.
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