Sid Stratton est à la chimie, ce que Will Hunting est aux mathématiques : un balayeur sur-qualifié profitant de son statut de parfait anonyme et de son passe-partout pour vaquer à ses aspirations scientifiques. Mais là où le premier se contenter de résoudre modestement les grands problèmes d'algèbre du siècle à coups de griffonnages à la craie, le second entreprend ni plus ni moins de révolutionner l'industrie du textile et le quotidien de millions et de milliards de gens à grand renfort de fioles, d'erlenmeyers et de ballons chauffants. Dans le plus grand secret d'un laboratoire pourtant à la vue de tous, le jeune diplômé de Cambridge met en effet au point une fibre nouvelle génération inusable, insalissable et infroissable, censée reléguer toutes les autres au simple rang de pailles de blé. Le tout au frais de l'industrie concernée, bien-sur, qu'il va naïvement pousser au bord du précipice. La résistance s'organise alors pour contrer le génial inventeur et étouffer sa non moins géniale invention...
Outre ses qualités formelles évidentes, le film brille par son intelligence et son ton hautement satirique et ô combien subtil, et donne enfin l'occasion au patronat capitaliste et à la masse laborieuse travailliste de marcher main dans la main contre le progrès et la fin de l'obsolescence programmé. Un comble. Tant du point de vue de l'alliance de circonstances des dirigeants et des ouvriers que du point de vue de leur lutte commune et soudaine... contre leur obsolescence... La belle affaire! L'obsolescence programmé serait donc le lot de toute entreprise terrestre, quelle soit faite de chaire, de chanvre ou d'une association des deux... Seuls les diamants sont éternels. Mais le film va plus loin que ça en prophétisant, notamment au travers de deux scènes, que si le travail c'est la vie, la science c'est l'avenir. Nothing can stop the progress!
Le grand Alec Guinness, qui était alors à l'apogée de sa glorieuse carrière, est une fois de plus admirable. Son jeu est aussi réfléchi, tranquille et léger que le film. Il le traverse comme un songe dans son costume blanc immaculé. Chacune de ses scènes jouit d'une atmosphère presque fantaisiste, quasi-irréelle. Comme sa composition funambulesque, tout le film est en équilibre sur une corde aussi fine que la fibre révolutionnaire qu'il a développé. On pense qu'ils vont trébucher, qu'ils vont verser tantôt dans la surenchère d'effets, tantôt dans l'humour facile (ça arrive même aux anglais) et qu'il n'arriveront pas au bout du fil, mais il n'en est rien. Le film flotte sur un petit nuage et a cette petite chose indescriptible et extrêmement rare qu'on appelle la grâce.
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