Etrange film que cet homme au complet gris, tiré d'un best-seller de l'époque qui revisitait à sa sauce foisonnante la famille classique américaine dix ans après la seconde guerre mondiale, réalisé par un scénariste brillant mais à la mise en scène convenue, produit par un Zanuck resplendissant dans un technicolor et un cinémascope du meilleur aloi, soutenu par un casting prestigieux et fort de ses deux heures trente, voici qui aurait tout ce qui faut pour un grand film épique.
Sauf qu'il ne se passe à peu près rien dans ce film, et ce ne sont pas les efforts pathétique que fait Bernard Herrmann de temps à autres pour nous faire croire le contraire qui vont changer la donne. Une famille banale, Madame qui fait pression sur Monsieur pour un meilleur boulot, plus d'ambitions, un meilleur avenir (on ne dira jamais assez le mal que la Femme a pu faire de cette façon à l'humanité...), une meilleure maison... Monsieur aimerait bien qu'on lui foute un peu la paix, il y a un trio de gosses devant la télévision, un héritage, enfin peut-être, et Monsieur se demande s'il ne va pas essayer d'intégrer les Mad Men, vu qu'on lui propose un poste mieux payé pour une chaîne de radio, mais plus chiant, chez des types immondes et avec des exigences bien peu conformes à la vie de famille ...
C'est fou comme ce film a tout pour être absolument ennuyeux et qu'il parvient tout de même à fasciner sur du presque rien. C'est typiquement le genre de film qui ne reste connu qu'outre Atlantique, un de ces films réalisés par les ricains, pour les ricains et qui, ce faisant, en dit beaucoup plus que beaucoup sur l'état des Etats-Unis des 50's que de bien meilleurs films à vocation plus universelle... vous voyez un peu comme du silence et des ombres pour rester dans le Peck, quelque chose qui les a marqué beaucoup plus que le reste du monde...
Dix ans avant le complet gris, Gregory Peck et Jennifer Jones puaient le sexe dans Duel au soleil et nous les retrouvons ici en couple, dix ans après le vrai début de leur vie maritale, après la guerre de Monsieur, quand les gosses ont commencé à poindre... Le moins qu'on puisse dire, c'est que les années furent sans pitié.
Si Gregory Peck est devenu tout lisse et propret jusqu'au grisâtre, on va dire que ça fonctionne bien pour ce rôle là. Par contre, voir la Jennifer Jones de ma jeunesse défigurée par la boucherie esthétique me brise l'âme et j'en suis venu à apprécier le fait de la voir le moins possible.
Tout le reste du casting est presque parfait, avec un Fredric March funèbre presque touchant en magnat des affaires qui a sacrifié sa famille, un merveilleux Lee J. Cobb en brave notaire atteint de hernie hiatale, un Keenan Wynn aussi adorable qu'à l'ordinaire en sergent-liftier et une tripotée de seconds rôles aux petits oignons.
C'est finalement très original, un film ultra-classique où il ne se passe presque rien, du coup, on se laisse emporter sans savoir où ça nous mène, il y a beaucoup de petites choses qui se mélangent sans forcément devoir se compléter un jour, c'est gentiment intriguant, derrière la façade sur l'importance de l'argent, de la réussite de la famille, ça ne parle bien sûr que de la primauté laissée à la Vérité, cette sacro-sainte maladie américaine dont je vous ai déjà souvent parlé.
En mettant le film, je ne savais absolument pas sur quoi j'allais tomber. En en sortant, j'avoue que ma perplexité est resté à peu près la même, mais ce n'est pas forcément une sensation désagréable.