La cinéaste Sonia Kronlund réalise un documentaire fascinant sur un homme, connu sous le prénom de Alexandre, mais aussi celui de Ricardo ou de Daniel, qui s'est inventé mille vies autour du monde. Il vit avec au minimum 4 femmes en même temps, mais sans doute plus, c'est difficile de savoir vraiment, en France, en Pologne, en Argentine ou au Brésil, et à chaque fois, il construit un couple voire une famille, en faisant croire à chacune des femmes qu'elle est l'unique aimée mais qu'il doit s'absenter souvent pour son travail, qu'il invente à chaque fois, de chirurgien, ou d'ingénieur, etc. A chaque fois il ment, il adapte son récit, son caractère, ses origines, c'est un menteur de profession et il ne trouve son équilibre que de cette façon. Durant des années (combien ?) il a joué ce jeu, jusqu'au jour où l'une de ses femmes, française, a eu un doute et a commencé à percer ce mystère abyssal. Kronlund débute son film en interviewant in situ chacune de ses femmes, dont les récits, tous différents, finissent par se rejoindre sur la façon dont elles sont tombées sous l'emprise de ce bonimenteur de profession, sorte de Jean-Claude Romans qui n'aurait encore tué personne et qui se serait inventé mille vies au lieu d'une seule, plein de petits mensonges au lieu d'un gros. Au départ, elle montre des photos de lui en lui cachant le visage, sans doute pour ne pas avoir de problème juridique, et puis, d'un commun accord, elle finit par faire sauter le cache et le montre enfin, ce monstre, cet homme aux mille visages. Mais elle va plus loin : elle retrouve sa trace en Pologne et, avec l'aide d'un détective privé, parvient à le localiser. Avec l'aide d'une équipe de télévision locale, Sonia Kronlund va se faire passer pour une journaliste et demander de l'interviewer (dans le cadre d'un marathon caritatif auquel il participe). Comme l'homme aime séduire et attirer l'attention sur lui, il accepte. Nous voyons donc, face à nous, et c'est absolument vertigineux, ce menteur professionnel, qui a ruiné la vie de dizaines de femmes, escroqué des centaines de personnes pour pouvoir s'assurer son train de vie, parader et tenter une nouvelle fois de séduire ses interlocutrices. Ce procédé pourrait sembler limite, car la cinéaste dépasse les bornes puisqu'elle interpénètre la réalité de son sujet, mais c'est fait avec une telle intelligence que la question de la légitimé ne se pose jamais. J'ignore ce qu'est devenu cet homme, je ne pense pas qu'il soit en prison car mentir n'est pas un délit, mais c'est peu de dire qu'il a obsédé la cinéaste qui lui a également consacré un livre, ainsi qu'un podcast et que le vertige qu'entraine la découverte de cet homme fait qu'on peut tout à fait imaginer y consacré sa vie.