Bon, reconnaissons le, le pitch de l’homme bicentenaire a de quoi immédiatement accrocher le fan de SF, qui pourra y voir un lointain ancêtre de Cloud Atlas, ou une variante de Magnolia dans sa fantastique ambition de délivrer un message rayonnant, un ressenti puissant et durable sur la Vie, sur les hommes et les grandes émotions qui font tourner le monde. En cela, l’Homme bicentenaire a tout du petit miracle espéré par les fans de SF, où la technologie passe au second plan pour souligner les enjeux humains qui s’y développent.
L’homme bicentenaire suggère ce petit côté magique, et surtout cette imprévisibilité de la vie. Certains verront ce trait comme un défaut du script, qui montre après plusieurs péripéties qu’il ne sait pas vers où il se dirige. Le robot est doué d’une certaine forme de conscience (qui rend la communication très laborieuse avec lui avec son humour naïf et ses réactions exagérément protocolaires, mais c’est plus une lourdeur familiale qu’un véritable parti pris de SF), mais ne sait pas quel but donner à son existence virtuellement infinie. Alors il fait avec son univers, et exploite méthodiquement chacune des pistes qui s’offrent à lui. D’abord esclave domestique, il devient artisan sous contrat, puis serviteur affranchi, avant de s’intéresser à sa caste, explorant le monde à la recherche de semblables. Le script passe néanmoins par des étapes vraiment discutables (le passage pour signaler l’intelligence anormale du robot au constructeur avant de dire ben non on le rend pas, devant un méchant ingénieur qui dit « tôt ou tard, nous le récupèrerons ! ». On a faillit avoir droit à un remake de Beethoven ! Pareil pour l’aspect législatif du statut des robots pendant la quête d’un alter-ego, l’idée est évoquée, commence à poindre… avant de disparaître complètement, alors qu’il s’agissait d’un thème asimovien fondamental. En fait, L’homme bicentenaire utilise des arguments de la SF mais il s’en fout, c’est limite un accident si c’est réussi, car c’est faire un film sur la famille qui semble être sa principale préoccupation (notamment dans sa façon qu’il a de dépeindre une chaleur humaine bienveillante chez le robot ainsi qu’une inspiration totale à former un couple, qui n’avait pas vraiment de raison déterminante d’exister). Parce qu’il est parfois trop insistant, l’Homme bicentenaire dévoile alors sa structure cloisonnée, qui n’est vouée à être développé que dans la mince fenêtre de l’angle familial (à savoir formation d’un couple, développement de la famille et accomplissement par l’amour alors qu’elle verrouille au contraire son potentiel, le rattachant à faire le bonheur d’un seul être alors qu’il se révèle on ne peut plus créatif et utile dans ses quêtes personnelles (devenir humain, et en cela repenser le corps en concevant des organes et des prothèses qui font progresser la médecine mondiale)). Certes, il veut devenir humain pour pouvoir aimer en tant qu’égal. Mais ces réflexions sont l’œuvre d’un scénariste accro à la guimauve qui n’a aucune conscience de ce qu’est la profondeur, ou alors à un degré minime en exposant sa bienveillance.
Rien sur la condition humaine en général, un vague message sur l’esclavagisme des robots (en l’occurrence, les anomalies comme lui ont subi un génocide totalement passé sous silence), la portée de l’homme bicentenaire est extrêmement limitée, et finalement simplement réduite à la quête d’une humanité par la régression, à savoir retrouver toutes ses tares et handicaps (la chair, l’individualisme pour pouvoir être simplement accepté en société). Son action peut sembler avoir une portée symbolique, bien pauvre quand on fait le bilan (une création humaine fait un parcours de 200 ans pour affirmer son émancipation et revendiquer un titre qui en rien ne lui correspond, on le lui donne de bon cœur quand il s’est suffisamment esquinté pour l’obtenir, et c’est tout). Son existence n’a en rien fait avancer son « peuple », et ses préoccupations individuelles ne l’auront pas emmené bien loin. Malgré le bénéfice évident pour les humains, que de potentiel gâché.
Alors, pourquoi cette note généreuse (on devrait être à 3/10) ? Essentiellement pour Robin Williams, qui parvient à donner une certaine humanité à son personnage robotique (la prouesse est davantage palpable dans les débuts, quand l’enveloppe en plastique limite les manifestations émotionnelles), et qui lui confère cette chaleur humaine dont il a le secret. Une bienveillance naturelle, pas toujours appropriée ou intelligente (le gag des prouts et des rots… une faute de goût qui fait perdre 4 points d'office), mais qui tire toujours vers le haut en tentant de souligner le meilleur de chacun. De même, la guimauve familiale fait parfois mouche et trouve une certaine consistance dans des moments d’intimité (la mort du père, l’épisode du cheval de cristal), parvenant à capturer des facettes de vie familiale au potentiel sentimental certain. Malheureusement, les qualités humanistes du film s’arrêtent ici. Le futur aura beau bénéficier d’un certain soin esthétique, il semblera davantage creux que manifestement réaliste. Il a au moins le bon goût d’être optimiste. Là où on se tape des futurs toujours plus sombres dans la SF moderne, en voir un qui retourne à une ingénuité humaniste montrant des progrès humains, des aspirations culturelles toujours vives (religion et art se retrouvent mêlés au récit), fait du bien et alimente cet optimisme visé par le film. Sa répartie est piteuse, mais son fond est bon. Il s’arrête toutefois aux exactes limites de son terrain. Tous les parcours dissidents sont sortis vite fait du champ comme notamment le parcours de la grande sœur, petite peste gâtée qui devient une motarde punk insolente d’une caricature telle qu’elle provoquera sans doute un certain agacement pour bon nombre de spectateurs. Voir la marginalité ainsi caricaturée, et évacuée sans la moindre tentative de compréhension ni d’humanisation, ça fait un peu pitié. C’est ce qui sépare drastiquement l’Homme bicentenaire des autres films sur la vie. Et qui le rapproche du Tree of life. Sauf que ce dernier était à la fois expérimental et laissait totalement le spectateur jongler avec ses propres sentiments et expériences. L’homme bicentenaire, lui, t’encadre tout ça avec d’énormes barrières et on avance tant qu’on ne bute sur rien. C’est frustrant de se sentir ainsi embrigadé et de gâcher un tel potentiel (les lois d’Isaac Asimov ne seront pas exploitées une seule fois, c’est une valeur ajoutée aussi gratuite qu’inutile), malgré les efforts de Robin, d’un casting plutôt investi (essentiellement pour Sam Neill), et d’un bon esprit doublé d’une réelle ambition. Un coup manqué, qui bénéficie seulement d’indulgence.