The Tall T part de la candeur la plus sucrée – en témoignent les sucres d’orge commandés et retirés en ville – pour arriver à la violence la plus sournoise après avoir, entretemps, sondé l’humain dans sa lâcheté et sa cupidité fondamentales. Une scène a priori anodine annonce d’entrée de jeu cette décadence de l’honneur du cowboy : un taureau est amené à sortir de son enclos et heurte la barrière, provoquant sa chute à la renverse doublé d’un grognement traduisant autant son mécontentement que sa lassitude. L’homme, dans le long métrage de Budd Boetticher, est à l’image du taureau : sa force apparente n’est qu’illusoire tant il échoue à quitter sa captivité, une captivité intérieure faite de frustrations, de désirs inassouvis – comme celui de posséder un bout de terre à soi – et d’autodestruction. Nul hasard, par conséquent, si le titre reprend le nom d’un ranch qui sert de point de départ au film, un eldorado que l’on souille et que l’on abandonne, preuve que l’individu poursuit une quête chimérique dont l’objet n’est autre que le report, encore et toujours, de ce qu’il a sous les yeux, insatisfait, sûr de voir l’herbe du voisin plus verte que la sienne – quoique dans le désert, ce soit difficile à trouver…
À cette noirceur tonale répond, en contrepoint, la bonhomie de Pat Brennan, seul personnage véritablement entier, au clair dans ses idées, disposant d’une terre à lui, reconnaissant volontiers – et à plusieurs reprises d’ailleurs – qu’il ressent de la peur lorsque la situation s’aggrave. S’opère ici une déconstruction du héros de western traditionnel : nous suivons la détention d’un homme intègre et modéré en tout point qui sait tendre l’autre joue et laisser la vie sauve à son bourreau ; contraint de tuer, il subit davantage les codes de l’Ouest refabriqué qu’il ne s’y adonne bestialement ; il dénonce ainsi, sans peut-être le vouloir, cette fabrique du mythe américain en le raccordant à sa violence première, en l’entachant de ce sang qui coule ici abondamment. La mise en scène de Boetticher est sobre, ce qui ne l’empêche pas de se montrer efficace ; la concision de l’ensemble contribue à faire de son œuvre une catabase sauvée in extremis par le triomphe du bien et l’ouverture de l’horizon vers des perspectives heureuses. Un bref et pourtant très grand western, aussi grand que le T qui orne son titre.