L'intrigue de L'Homme de nulle part est assez surprenante pour un western : dans un ranch isolé, une jeune épouse insatisfaite sexuellement tente de séduire l'employé de son mari.
Dans son Encyclopédie du Western, Patrick Brion soulignait justement cette particularité scénaristique, rapprochant ce film de l'oeuvre du dramaturge Tennessee Williams, les deux partageant des thématiques communes à commencer par la frustration sexuelle et l'isolation. Cette comparaison me semble pertinente, d'autant plus que le début du film s'insère dans ce qui ressemble à un petit théâtre, avec ce ranch reculé et cette tension qui s'accentue entre les personnages, tout comme dans les pièces de Williams.
Toutefois, la mise en scène lyrique de Delmer Daves adoucit le caractère anxiogène du récit. Elle lui offre de véritables bouffées d'air frais grâce notamment à des travellings aériens ( le péché mignon du réalisateur) qui soulignent toute la beauté de la nature sauvage. La scène où Glenn Ford rencontre Felicia Farr dans une forêt de bouleaux illustre à merveille cette grâce qui exhale du film. Daves prend également un soin méticuleux à exposer le travail de bouvier (les véritables cow-boy du Far-West), ce qui préfigure d'une certaine manière son film Cow-Boy, tourné deux ans plus tard.
Il faut également toucher un mot sur le casting du film, très prestigieux, et surtout sur la prestation d'Ernest Borgnine. Habitué dans les westerns à jouer les brutes sanguinaires, il se transforme ici en mari manquant d'éducation mais particulièrement bon et attachant. Ce rôle permet à Borgnine de montrer une autre facette de son jeu d'acteur.
L'Homme de nulle part est donc une franche réussite et le seul défaut qu'on pourrait lui trouver se situe dans sa dernière demi-heure, moment où l'intrigue perd un peu de sa singularité pour revenir à un schéma classique du western (avec affrontements et foule en colère), faisant un peu perdre au film son caractère intimiste.