- Je ne veux pas être indiscret. Mais un sénateur ici c'est l'actualité. Je dirige un journal à large diffusion. Il est de mon devoir de savoir pourquoi vous venez de si loin pour enterrer un homme. On ne peut pas citer son nom et s'arrêter là ! Qui était Tom Doniphon ?
- Un ami, M. Scott. Laissez-nous à notre chagrin.
- Scott, allons-y.
- Je suis désolé sénateur. Cela ne suffit pas. J'ai le droit de savoir.
- Peut-être, après tout.
L'homme qui tua Liberty Valance est un western phare sur la condition humaine, qui sous la réalisation du grand John Ford, qui signe avec ce titre un de ses meilleurs films, questionne tout du long son spectateur. Voguant entre vérité et légende, l'intrigue est racontée sous la forme d'un souvenir imprécis à un journaliste, dont la clé et la vérité de l'histoire se situent dans l'entre-deux. Le récit original provenant d'une nouvelle de Dorothy M. Johson, est transformé à la demande de John Ford en scénario par James Warner Bellah et Willis Goldbeck, qui poseront la chute du vieux monde occidental, et les fondements du monde contemporain à travers une transition rugueuse, où la voie du progrès se confronte à l'inculture, et où l'homme hors la loi se refuse au monde civilisé. Une réelle profondeur et une perspective sur la façon dont l'homme est façonné par une société qu'elle soit décente ou non, et comment celle-ci nous façonne à son tour. Une démocratie substantielle qui se paiera dans le sang à travers une métaphore exceptionnelle, symbolisant à merveille la maturation du genre en quelque chose de plus réel.
Pour incarner une telle transformation, John Ford nous présente trois personnages d'une importance cruciale, incarnés par de grosses pointures, dont deux légendes du western.
Le premier : le fameux Liberty Valance, incarné par Lee Marvin. Il est la représentativité du hors-la-loi. Il ne se soumet devant personne et joue selon ses propres codes, dans lesquelles le meurtre, le vol, l'enlèvement et le tabassage sont la règle. Il aime ce monde instable et dangereux, ne voulant surtout pas le voir évoluer. C'est pourquoi il trouve en Ransom Stoddard tout ce qu'il déteste. Bien que Liberty Valance soit l'un des trois personnages angulaires de l'intrigue, je n'aime pas ce personnage. J'aime l'idéologie qu'il incarne, ainsi que le message qui est véhiculé à travers lui, cependant, l'incarnation de Lee Marvin est grossière. Il faut dire que l'écriture autour de celui-ci ne l'aide pas beaucoup. Il apparaît plus idiot qu'inquiétant. Plus crapuleux que dangereux, maniant mieux le martinet et les menaces que le révolver. Une petite frappe. Une caricature du hors-la-loi qui aurait mérité un travail plus nuancé, sérieux et crédible.
Le deuxième : Ransom Stoddard, juriste venant du monde civilisé, amenant dans le vieux monde un ensemble d'idéaux rendant Valance totalement obsolète. Ransom est superbement joué par un excellent James Stewart qui apporte beaucoup de substance à son personnage immature. Il incarne la modernité, préférant troquer le plomb et le whisky contre l'étude et l'intelligence. Têtu comme une mule, ne comprenant définitivement pas les moeurs de l'Ouest, Stoddard en veut à l'utilisation des armes à feu, car il vise à éduquer les gens pour que la démocratie puisse remplacer la violence et pour que l'éducation puisse remplacer le désordre et la discorde futile dans ces petites villes occidentales. C'est par sa persévérance, ainsi que sa foi inébranlable en la démocratie (et un coup de pouce crucial), que Stoddard tentera par tous les moyens d'apporter l'évolution et l'égalité à de vieux idéaux occidentaux ayant fait leur temps. Ransom Stoddard tire toute sa puissance de la relation qu'il entretient avec Tom Doniphon.
Le troisième : Tom Doniphon incarné par un John Wayne absolument parfait dans ce rôle pourvu d'une subtilité surprenante. Il incarne le visage de l'Ouest. Le cow-boy par excellence. Le cavalier des grandes plaines. Ce personnage est de loin le plus intéressant, se situant entre Valance et Stoddard. Il aime l'ouest libre. Tuer des crapules ne lui pose aucun problème. C'est d'ailleurs pour tout cela que Stoddard le considère comme une brute sans réflexion. Pourtant Doniphon est également partagé par la vision d'un ouest plus juste, où le plus faible aurait également sa chance. Doniphon en vrai héros sacrificiel se force à voir plus loin que Stoddard, qu'il teste tout du long afin d'estimer son courage et ses convictions. Il estime cet homme civilisé comme étant le seul véritable espoir pour parvenir à mettre en place la loi et l'ordre. À travers Tom Doniphon, John Wayne parvient à nous faire prendre conscience de la profondeur de son personnage, qui pour son geste de bravoure (qui ne sera jamais reconnu et qui ira à l'encontre de ses principes), causera la perte de la femme qu'il aime au profit de Stoddard le héros.
Stoddard le chevalier blanc.
À travers son geste Tom Doniphon le cowboy par excellence, signera la fin de son amour, de sa maison, de son futur, de sa réputation, de son âme d'aventurier et de cet ouest libre qu'il aime tant. Le sacrifice ultime.
Doniphon le chevalier noir.
John Ford avec son film pose un récit intelligent d'une puissance dramatique surprenante et d'une pertinence comme on n'en voit que très rarement dans le cinéma westernien, même s'il est à regretter une certaine naïveté dans la forme. Pour assurer son scénario, le cinéaste offre une réalisation efficace, à la mise en scène épurée, ne pouvant compter sur des grands espaces étant tournée entièrement en studio, ni des couleurs, un dépouillement d'autant plus étonnant que l'ambition y est considérable. La composition musicale de Cyril J. Mockridge sans être incroyable fait le boulot. Enfin quelques séquences sont habilement réalisées comme le fameux duel, le pétage de plomb de Tom Doniphon, la longue séquence d'ouverture, la fin de l'interview, le mot de la fin, la salle de classe sous la présidence de Stoddard, la confrontation pour un steack dans le restaurant, ou encore les élections de fin avec la double lecture bien taciturne dans sa version intégrale sur ce qui sonnera l'éradication des Amérindiens. Petite pensée pour la comédienne Vera Miles ainsi que pour Lee Van Cleef présent en tant qu'homme de main de Valance.
CONCLUSION :
L'homme qui tua Liberty Valance est un western ingénieusement écrit, à la réalisation soignée signée John Ford, qui pour cette oeuvre s'est entouré de deux légendes du genre avec les comédiens John Wayne et James Stewart. Non loin d'être un chef-d'oeuvre, cette oeuvre instable sur quelques points offre un spectacle original et prometteur à voir absolument pour son propos intelligent flirtant entre légende et vérité.
Un western pertinent au sujet dramatiquement spectaculaire.
- Vous n'allez pas publier cette histoire M. Scott ?
- Non monsieur. Nous sommes dans l'Ouest, ici. Quand la légende dépasse la réalité, on publie la légende.