L'homme qui tua Liberty Valance est un anti-western. Il sera difficile, après avoir vu ce film, de regarder à nouveau un western "classique" sans y voir autre chose qu'une glorification des sociopathes. L'homme qui tua Liberty Valance ne tombe pas dans le mythe du gangster au grand cœur. Comme tous les grands films de James Stewart (car les thèmes purement stewartiens imprègnent tellement ce film qu'il s'agit d'un film de James Stewart au moins autant que d'un film de John Ford), il s'agit d'un film faussement manichéen. Un regard superficiel y verrait une œuvre où les gentils sont très gentils et les méchants sont très méchants, mais ce serait ne pas voir que la subtilité morale y a été déplacée mais est bien présente.
Car au-delà de l'opposition entre Ransom Stoddard (James Stewart) et Liberty Valance (Lee Marvin), ce film nous présente bien sûr surtout une opposition entre Ransom Stoddard et Tom Doniphon (John Wayne). On se demande dans les premières scènes comment il sera possible de faire fonctionner ces deux acteurs ensemble tant tout semble les séparer, mais John Ford tire remarquablement parti de ce contraste (et on peut admirer John Wayne de s'être dévoué à ce point à ce rôle qui ne le met pas tellement en valeur).
James Stewart incarne la civilisation et John Wayne la force virile, mais c'est un peu comme dans les débats entre collapsologues et survivalistes : la conclusion est qu'ils sont complémentaires, que la société a besoin de l'un comme de l'autre pour exister. Lorsque la force virile est seule présente c'est le règne de l'arbitraire et la domination du plus violent, mais lorsque le marshall est faible et peureux la civilisation ne parvient pas à s'imposer.