Adapté d’un roman de Kipling, L’Homme qui voulut être roi est un des classiques de John Huston (Le Faucon Maltais). Le film est adulé pour de bonnes raisons, car il est monumental, sa mise en scène dynamique et surtout parce qu’il déroule une aventure exotique dans un passé idyllique ouvert à tous les possibles.

Pourtant, L’Homme qui voulut être roi est empreint d’une mystique de la barbarie. Une mystique ambivalente, incitée et blâmée. Naturellement, on peut estimer que le film et ses auteurs ne valident pas les exactions de leurs héros. En fait, les hypocrisies sont imbriquées. D’un côté, la mégalomanie est finalement condamnée et mène à l’échec ; mais ce préjugé bienséant sonne creux, un peu comme une justification pour rassurer la bonne masse et se rassurer soi-même. La mystique de la barbarie reste intacte.

Que voyons-nous ? Deux hommes vaniteux, deux crapules avec toutefois leur propre code. Le film les consacre ; de leurs numéros excentriques à leurs exploits, en passant par les purs actes malveillants ; en marge, on revendique leur sens de la fraternité – celle envers les membres de la confrérie. Car pour le reste, les territoires et les hommes ne sont que des mannes à exploiter, conquérir. Ainsi ils s’en vont pour devenir rois au Kafristan, donc pour allez chercher la terre promise façonnée seulement pour être prise par le soin des plus malins.

Dans la foulée, un racisme d’optimistes à l’égard des indiens, des traditions, des institutions, des individus qu’ils perçoivent à peine au fil de leurs aventures. Racisme d’optimistes aussi car ils s’en vont, dans la foulée, civiliser ces races ignares. Ca occupe et ça flatte. Et en même temps, c’est un racisme hypocrite et d’opportuniste. Les deux amis n’ont pas de jugement structuré, aussi il n’est pas étonnant qu’ils ne sachent pas assumer leur sentiment profond lorsque nécessaire. En effet, face à la sauvagerie et aux coutumes injustifiables, les deux hommes s’émeuvent au mieux mais ne font qu’alimenter l’horreur pour en tirer leur propre bénéfice ; le "roi" est le plus coupable, par son attitude destructrice, dont l’irresponsabilité engendre l’hystérie et la régression du peuple dont il se sert. Las, le racisme même optimiste ne suffit pas, il faudrait aussi des principes, une conscience, tout ce qui est dénigré ici au profit de la victoire du malin sur les basses contingences et la négligeable condition humaine.

Par conséquent il y a bien une morale venue contrer l’ivresse et enrichir le film, pour poser une petite dualité entre la camaraderie désinvolte et la saine ambition d’une part, les excès de la réussite et l’illusion de la toute-puissance consacrée d’une autre. Comprenez, le pouvoir, le prestige, les honneurs, gâchent tout. Même l’amitié. Le mieux finalement, c’est la marche vers la gloire, mais une fois obtenue elle nous corrompt. Comme si la perversion était là et pas dans tout ce qui avait précédé. Et c’est faux de croire que le pouvoir a fait émerger la pourriture, car l’individu en question était une ordure manifeste depuis le départ.

Il n’y a pas d’ambition viciée ici, mais une ambition malsaine ; et pour mieux l’assumer, il faudrait faire porter le chapeau au désir des hommes de se dépasser, d’expérimenter, peut-être même de bâtir avec force ? Quelle lâcheté, qui voudrait tout polluer pour se dissimuler. Autant assumer l’arrogance des Hommes, façon Fitzcarraldo, en montrant tout, le chemin qui pue, les ambiguïtés, les intentions pas nécessairement nobles, la flamme constructive aussi. Ou même partir dans le pur délire de troll d’élite façon La Montagne Sacrée, où un ni sage ni fou part vers son îlot sans chercher ni alibi ni à saper ce qui existe sans lui.

Bien raconté, le film s’étale parfois exagérément, avec même une sorte de ventre mou déconcertant (la demi-heure de mobilisation) et des ellipses futiles. Il reste bien trop encombré par les éructations grandiloquentes et ennuyeuses de ces deux amis. Les petites expressions de Sean Connery (« par la sainte culotte de dieu », « que l’enfer me chatouille ») renvoient d’ailleurs les deux bonhommes à leur nature de Haddok pédants et immatures. Qui sont-ils, finalement ? Deux braves gaillards sortis de leur université s’en allant faire la nique au monde, ce vaste terrain de jeu. Ce film, c’est Hostel, en obscène et premier degré.

http://zogarok.wordpress.com/2014/08/29/lhomme-qui-voulut-etre-roi/

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le 29 août 2014

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Zogarok

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