Qu’il est agaçant de lire des critiques incendiaires à propos des dernières œuvres de Francis Ford Coppola alors que ces mêmes critiques s’extasieraient devant ces mêmes œuvres si elles étaient signées d’un autre nom – on parlerait alors de « révélation » ! Youth Without Youth se propose d’adapter au cinéma Mircea Eliade, éminent spécialiste des religions et de leur histoire respective, et compose un long métrage foisonnant qui se regarde comme un chercheur étudie et déchiffre un manuscrit sacré. Son originalité tient notamment à ses mutations permanentes qui le rendent insaisissable, mutations tant formelles que tonales : les genres se confondent habilement, articulant le polar au drame sentimental en passant par la comédie et par le merveilleux ; quant à la mise en scène, elle ose tout, des ralentis au renversement de la caméra, sans oublier un travail sur les couleurs et sur les stéréotypes (la rose, par exemple).
Coppola s’amuse avec leurs codes tout en offrant aux personnages principaux une profondeur mythologique : cette caractérisation leur confère une opacité tout en respectant la théorie de l’éternel retour selon laquelle une action humaine tire son importance par la reproduction d’une action similaire faite à l’origine. La trajectoire du film est donc celle d’une remontée dans le temps, suivant l’idée que« l’homme n’est pas, et ne peut être autre chose que de l’Histoire, car sa véritable essence est la temporalité » (Mythes, rêves et mystères, 1957) ; aussi auteur comme cinéaste le placent-ils au contact de la Seconde Guerre mondiale, décantée de sorte à ne garder qu’un climat paranoïaque obsédé par la création d’un individu parfait capable de résister aux effets destructeurs du temps. Les langues vivantes et mortes se suivent et s’emmêlent, les signes se superposent jusqu’à remonter au plus loin dans la culture, à ce moment où l’inarticulé est devenu articulé ; cette quête emprunte évidemment à la tragédie, cœur de ce film sensible et magnifiquement réalisé.