L'histoire d'un homme qui oublie son passé à l'issue d'une agression ou d'un accident, c'est bien banal, mais quand on s'appelle Aki Kaurismaki, les histoires banales sont les histoires racontées par les autres. La réussite totale de ce film est la preuve que l'optimisme n'est pas nécessairement le reflet d'un manque d'intelligence, en matière de cinéma tout du moins, et que le spectacle d'un homme déchu qui peu à peu retrouve la place qu'il mérite peut être salué avec au moins autant d'enthousiasme que les tragédies réalistes qui démontrent à tout va l'impuissance de l'homme devant la folie du monde.
Le récit suit donc la trajectoire d'un homme laissé pour mort par trois autres et qui à son réveil ne se souvient de rien. Il est recueilli par d'autres laissés pour compte qui vont l'aider à retrouver un toit, des amis et une raison de vivre. La fraternité qui relie ces hommes et ces femmes est filmée par Kaurismaki avec une pudeur et une retenue qui permet au spectateur de se laisser gagner peu à peu par une émotion pure et sincère. L'humour poétique qui irrigue les dialogues et les images du film permet le maintien d'un équilibre entre la description d'un quotidien tragique et la proclamation d'un message d'espoir comme en témoigne ce dialogue entre le protagoniste et un SDF qui vient de l'aider à aménager de l'électricité dans le container qui lui sert de logement:
"- Qu'est-ce que je vous dois?
- Si vous me voyez face contre terre dans un caniveau, retournez moi sur le dos."
Un chef d'oeuvre de révolte contenue.