J'étais pourtant assez excité... la Cosa Nostra sicilienne a eu droit aux Cent Jours de Palerme et, bien sûr, à la trilogie du Parrain, la Camorra napolitaine a récemment fait l'objet de Gomorra, film et série, mais des trois principales branches de la mafia en Italie, la 'Ndrangheta calabraise est la seule que le cinéma ou la télévision ont jusqu'à présent peu ou pas exploré, alors même que certaines enquêtes suggèrent qu'elle est actuellement la plus puissante et la plus influente de toutes - peut-être a-t-elle justement bénéficié de ce relatif manque d'exposition médiatique ? Mais là n'est pas la question.
Alors quand j'ai vu que Netflix et Rai Cinema s'associaient pour narrer les grandes années de la mainmise calabraise sur Milan, oui j'étais assez excité. Cerise sur le gâteau, Riccardo Scarmaccio, l'un des meilleurs acteurs transalpins de ces deux dernières décennies, jouerait le rôle principal.
Verdict ? On ne va pas tourner autour du pot, Lo Spietato c'est Goodfellas en moins bien. Ce n'est pas un si gros spoiler que cela, puisque cela devient apparent dès les cinq premières minutes : le personnage principal, adulte, se retrouve dans la panade puis boom, voix-off et voyage dans le temps, jusqu'à son enfance, à partir de laquelle l'histoire se déroule de manière chronologique, jusqu'à rattraper le "présent". Vraiment, ça ne vous rappelle rien ?
Tout le reste est à l'avenant : le narrateur, Santo Russo, débarque à Milan à l'aube des années 70 avec sa famille fuyant la misère calabraise, il se retrouve vite frustré par son gagne-petit de géniteur, commence à fréquenter les loubards de la 'Ndrangheta dans un troquet, fait de la taule pour des broutilles, se lie d'amitié avec un petit teigneux psychotique, puis saut dans le temps d'une dizaine d'années, le duo est devenu trio, s'attire les faveurs des parrains en réalisant un casse spectaculaire avant de se faire des couilles en or via l'héroïne et les enlèvements en série, puis Santo se marie à une fille de famille proprette, la trompe avec une Française, son empire s'effrite, l'instabilité de son meilleur ami se retourne contre l'intéressé, et Santo, de plus en plus esseulé, n'a d'autre choix que de balancer ses anciens camarades pour obtenir l'immunité avant qu'eux-mêmes ne le butent les premiers. Le quatrième mur est brisé lors de la scène finale, bien que je concède que celle-ci soit moins moraliste et plus cynique que le "I'm just another schmuck" de Ray Liotta. Clap de fin.
N'ayant pas lu le livre de Pietro Colaprico et Luca Fazzo à l'origine du film, pas plus que celui de Nicholas Pileggi ayant inspiré le chef-d'oeuvre de Martin Scorsese, je ne peux donc m'exprimer sur la fidélité à leur structure ni sur le respect de la réalité historique, mais les points communs sont vraiment, vraiment trop nombreux de la première à la dernière minute pour ne pas être distrait. Cela ne serait cependant pas trop grave si, à l'instar de Goodfellas, les personnages et la mise en scène en valaient la peine. Malheureusement, ce n'est guère le cas.
Lo Spietato commence plutôt bien, avec un rythme énergique et une grisaille qui sied au cadre milanais, mais le film ne se renouvelle jamais passée la première demi-heure ; reproche qui s'applique aussi à la bande-son, loin de la playlist rock richissime de Scorsese, consistant au lieu de cela en seulement deux chansons, la reprise de Malamore par Riccardo Sinigallia (molto catchy, je dois dire) et Che vuole questa musica stasera par Peppino Gagliardi.
Associé à un scénar aussi peu original, le résultat est donc aussi prévisible que léthargique. Il y a quelques séquences vaguement trépidantes, comme le braquage du bijoutier et le versement de la rançon, et assez amusantes comme celles du cercle d'artistes snobinards, mais c'est trop peu. Le réalisateur Renato De Maria n'est pourtant pas le perdreau de l'année en matière de films de gangsters, ayant notamment tourné La Prima Linea avec le même Scarmaccio et dans le même cadre 70-80s, alors pourquoi s'est-il retrouvé à signer un piteux copier/coller d'un classique du genre ? Le manque de moyens mis à disposition par Netflix et Rai Cinema, peut-être, car le film paraît honnêtement un peu cheap, pour un sujet aussi ambitieux.
Peu servis par un script rabâché et une réalisation à court d'idées, les acteurs font ce qu'ils peuvent pour sauver le navire. Riccardo Scarmaccio y parvient, qui à lui seul m'a empêché de m'endormir avant la fin. Même avec aussi peu de matière de base, le beau Rickie confirme une fois de plus qu'il est le digne héritier de Gassman et Volontè. Tour-à-tour attachant, répugnant, drôle et effrayant, il nous fait regretter encore plus la pauvreté du script. Le reste du casting tient la route, mais il n'y a personne de vraiment transcendant. La French Touch Marie-Ange Casta est seulement parvenue à me faire souhaiter que ce fût sa sœur dans son rôle...
Trop proche d'un remake et pas assez engageant pour nous investir dans les personnage et l'histoire avec un petit h, Lo Spietato échoue également en tant que témoignage sur l'Histoire. Trop occupé par les pérégrinations sentimentales et sexuelles de son personnage principal, le film ne parvient jamais à offrir un aperçu autre qu'anecdotique du phénomène de l'implantation de la 'Ndrangheta dans le Milan des Années de Plomb. Romanzo Criminale, le film comme la série, avait beaucoup mieux exploité son cadre romain de la même époque, en alternant la narration entre l'inspecteur Scialoja d'un côté et la bande du Libanese de l'autre, donnant ainsi une vue d'ensemble de la criminalité organisée parallèle au crime d'état et au terrorisme politique. Renato De Maria aurait été bien inspiré de piocher de ce côté-ci plutôt que de pomper à tout va sur Goodfellas.
C'est dommage, Riccardo Scarmaccio méritait mieux, mais en dépit de tous ses efforts, Lo Spietato a échoué à retenir mon attention, la faute à un scénario trop prévisible et connu, et à une réalisation trop sage malgré quelques reliefs. La 'Ndrangheta attend toujours son film - ou sa série - de référence...