"L'Honneur perdu de Katharina Blum" est l'un des représentants majeurs du Nouveau cinéma allemand qui tenait à rompre avec la génération précédente. Courant difficile d'accès, accusé à tort ou à raison d'être trop intellectuel, son héritage n'en demeure pas moins considérable en terme de modernité et de subtilité d'écriture.
Une femme rencontre un homme en soirée. Affublée du surnom de "nonne" par sa pudeur, elle passe une nuit avec lui avant que la police ne fasse une entrée fracassante dans son appartement. Visiblement, cet homme est activement recherché par le système et Katharina devient une suspecte potentielle emmenée manu militari au commissariat le plus proche sans comprendre grand chose à ce qu'il se passe. Il y a comme un air "Costa-Gavras-esque" dans cette première partie. L'arrestation sauvage, les moyens de pression, les intimidations verbales. Tout ça nous rappelle le phénoménal "L'Aveu" qui avait tant bousculé 5 ans auparavant le public. De victime innocente, Katharina passe de suspecte et l'avancée du scénario dévoile les liens troubles qu'elle entretient avec les anarchistes. Une branche révolutionnaire activement combattue par le pouvoir en place.
Il s'agit évidemment de se replacer dans le contexte de l'époque (ce qui est un objectif insurmontable pour une frange de la population gueularde dont nous tairons le nom). L'Allemagne est déchirée entre la RFA et la RDA. L'une est sous l'influence occidentale, l'autre sous l'influence soviétique. Un pays plus que jamais meurtri où chacun s'espionne dans la crainte que son voisin déstabilise l'ordre établi. Une atmosphère lourde dont s'enorgueillit ce film qui voit sa naissance lors des fameuses "années de plomb". La violence des forces de l'ordre renvoient immanquablement à la Stasi qui ne refoulait pas une certaine inspiration du maccarthysme qui terrorisa tant les USA.
Le tandem Schlöndorff - Von Trotta n'y va pas avec le dos de la cuillère et nous livre une intrigue riche entre enquête policière et didactisme politique. Toutes les mesures prises se faisant au nom de l'état d'urgence scandé par la grande machinerie bureaucratique. On érige une communauté en ennemi public pour ensuite légitimer toutes les dérives liberticides. L'impératif étant la sécurité au prix des libertés individuelles. Ceci conduisant irrémédiablement à un climat de paranoïa où chacun semble surveiller son prochain. De quoi nous rappeler que les bons vieux discours teintés de pathos à base de "plus jamais ça !" ne sont que chimères. L'être humain étant systématiquement condamné à reproduire les mêmes erreurs et à répéter l'histoire encore et encore. Nous en avons eu la preuve tout récemment avec la fameuse "urgence sanitaire" où des mesures indignes de toute démocratie qui se respecte ont vu le jour, acceptées dans une admirable quasi indifférence populaire.
L'association politique/justice est toutefois incomplète car il manque un élément essentiel qui est le journalisme. Un trio détonnant qui peut guider aisément par la force une nation. Le "Journal" sacralisé comme l'URSS en aurait fait de même avec la Pravda n'a pas son pareil pour influencer l'opinion publique, détourner les propos et tordre les faits, encore une fois au service des puissants. En splendides fouille-merdes, ils entraînent avec eux l'ire de la population contre une Katharina dont la faute est de ne pas adhérer au système. Dans une scène abjecte au possible, un citoyen criera dans un café qu'il faut la gazer. Toute ressemblance avec des faits ayant existé serait purement fortuite évidemment. Cette tirade bien connue ne manquera pas d'être marquée dans l'épilogue avec un second degré aussi glacial que lucide. Encore une fois, l'histoire est toujours amenée à se répéter.
Les errances de Katharina perdues entre l'oppression politique, les lettres de menace et son amour pour Ludwig ne manquent pas de nous tenir en haleine. Parfois un brin prise de tête dans ses ramifications scénaristiques, l'objectif n'en demeure pas moins atteint avec panache. S'y ajoute une superbe photographie faisant la part belle aux couleurs ternes si emblématiques d'une période de trouble et de ses bâtiments d'une laideur architecturale sans égal.
"L'Honneur perdu de Katharina Blum", un film fort et sans compromis qui devrait être enseigné en cours d'histoire.