Tavernier arrive tard au cinéma : il a derrière lui une carrière prolifique de critique, d’attaché de presse et d’assistant réalisateur avant de réaliser son premier film. Cette maturité explique sans doute le charme singulier de cette adaptation de Simenon, dont le roman originel doit être bien différent, notamment dans son traitement de l’intrigue policière. Car le traitement que lui inflige Tavernier, secondé par le tandem Aurenche et Bost (les fameux scénaristes à l’ancienne fustigés par Truffaut dans son célèbre article « Une certaine tendance du cinéma français » vingt ans plus tôt) va procéder sur le principe du pas de côté, une tendance qu’on retrouvera dans un nombre conséquent de ses films à venir.


Tavernier est en effet moins intéressé par l’enquête, le mobile ou les indices que la question centrale de la connaissance des êtres. Le père du présumé meurtrier, incarné par Philippe Noiret, aura eu droit, avant l’élément perturbateur, à un portrait superbe d’authenticité et d’humanité, entouré de ses amis dans un bistrot lyonnais, représentant truculent et attachant de l’art de vivre à la française. La fuite et la suspicion de son fils le précipitent dans une sorte de vortex où la thématique du langage et de la communication deviendra cruciale.


Le récit navigue ainsi entre deux domaines : celui, public, du traitement de l’affaire, se fait les gorges chaudes du fait divers, et voit ses protagonistes (la presse, la police) prendre la parole à la place du fils invisible ou du père mutique. On devise, on suppose, on conclut, particulièrement sur le volet idéologique, reflet d’une période où l’on divise clairement la société en castes : les patrons, les gauchos, et les honnêtes gens qui y vont de leurs propres réflexions dans les micros-trottoirs. Confronté à ces forces étranges, Michel navigue à vue : s’il accepte de parler à la radio pour s’adresser à son fils, il finit par le regretter. S’il entame un véritable dialogue avec le commissaire (Jean Rochefort, forcément délicieux, notamment lorsqu’il promène le chien de sa fille), c’est pour prendre conscience que celui-ci n’a pas véritablement de substance, ou plutôt, un point commun qui serait celui de l’ignorance. « Comme on ne comprend rien à ses propres enfants, on essaye de comprendre ceux des autres. », avouera le commissaire. Reste une constante, celle des espaces : la ville de Lyon aura un rôle déterminant dans ce film qui fait la part belle aux lieux authentiques et décatis, loin des cartes postales touristiques, dans des mouvements d’appareil privilégiant la fluidité et les longues prises de vues, un trait esthétique qui sera elle aussi séminale pour l’œuvre à venir.


C’est donc une accumulation de fausses pistes qui compose cette voie tortueuse, où l’opacité gagne progressivement du terrain. Michel ne se contente pas d’affronter le mystère d’un acte radical : il remet en question toute une vie en tant que père, et ce qu’il reste de sa relation à un fils dont il ne connaît rien. Il mesure cette chappe de silence à la réaction de ceux qui traitent avec lui la question : le commissaire fait de lui une sorte de rat de laboratoire qu’il se plait à étudier, tandis que l’avocat propose de plaquer le qualificatif de passionnel à un crime qui se dérobe à toutes les cases. Car si la question de la subversion des jeunes plane encore, 68 stagnant dans tous les esprits, c’est surtout l’absence de lien entre générations et classe sociale qui gangrène le pays tout entier, « ce putain de pays avec ce climat de lâcheté et cette espèce de confort satisfait qu’on entretient par tous les moyens. », comme le dira le pote syndicaliste de Michel.


Une certaine forme d’absurde se loge discrètement dans ce parcours, qui n’est pas sans rappeler l’indifférence affichée de Meursault, et qui gagne probablement le père dans un itinéraire de délestage où toutes les tentatives de la société pour nommer, catégoriser et juger brilleront par leur vanité. L’apprentissage, au contact de ce fils à qui il laissera le droit au silence (sur son passé, sur son lien à la femme qui l’a élevé, sur la souillure possible comme mobile à son crime) sera celui de l’acceptation des zones grises. Et la modeste victoire que celle de faire émerger la parole dans un parloir.


(7.5/10)

Sergent_Pepper
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le 12 avr. 2021

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Sergent_Pepper

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