On retrouve dans "L'humanité" le décor et le formalisme original, mélange de contemplation et de naturalisme, du premier et beau film de Bruno Dumont "La vie de Jésus": même ville du Nord étrangement déserte et plongée dans la torpeur estivale, même milieu social populaire personnifié par des seconds rôles très naturels; on retrouve aussi dans "L'humanité" cette lenteur du récit et du mouvement qui semble suspendre le temps, figer les personnages dans leur désoeuvrement, leur ennui ou leur douleur. La mise en scène de Dumont expose de sombres perspectives sociales et morales.
C'est dans ces conditions qu'a lieu un sordide fait divers: le viol et le meurtre d'une fillette. L'officier de police Pharaon De Winter (!) mène l'enquête dans le ton et l'esprit du film. Qu'on ne s'attende pas à un thriller haletant...
Avec sa mine compassée, ses gestes au ralenti et sa parole économe, De Winter (du nom d'un peintre natif de Bailleul) semble porter toute la misère du monde. C'est là, précisément, le sujet du film. Au spectacle et à l'existence pénibles de l'humanité, le personnage de Dumont offre son humanité, sa compassion pour la victime comme pour le criminel, la souffrance qu'il éprouve (comme Jésus?). Sans doute a-t-il tout compris de la condition de l'Homme.
Si l'on fait abstraction de ce lieutenant de police atypique, pour ne pas dire irréaliste (là n'est pas la préoccupation de Dumont, mais on peut toutefois s'étonner que l'interprétation minimaliste du comédien amateur Emmanuel Schotté lui a valu le prix d'interprétation à Cannes), si l'on surmonte les longs et parfois déroutants plans fixes qui composent le récit, on ressentira pleinement la profondeur dramatique du sujet et les sentiments indicibles des personnages. Entre stylisation et prosaïsme, le cinéaste ébauche une réflexion, certes difficile d'accès, mais sensible, sur la nature humaine.