Parti du roman éponyme de John Grisham, Francis Ford Coppola raconte, avec cette adaptation, l'initiation de Rudy Baylor, jeune avocat fraîchement diplômé et encore balbutiant, aux pratiques d'un système judiciaire tortueux. Coppola suit le parcours de ce héros, qui va passer de la théorie à la pratique, et apprendra, sinon du droit, à mieux se connaître.
La représentation, peut-être un peu manichéenne, n'enlève rien au film. Coppola jongle entre scènes comiques et moments de gravité, sans trop sombrer dans le mélodrame. Le parti pris est clair, puisque le spectateur peut rapidement situer la ligne de démarcation "méchants" / "gentils", mais le réalisateur dose avec suffisamment d'humour et de bonhomie pour contourner les raccourcis simplistes et indigestes. Pas d'effets pathétiques ici - juste assez pour laisser le spectateur savourer les hauts et les bas de cette virée initiatique, parfois dramatique, surtout divertissante. La balade (ou le film) s'ouvre sur une montée symbolique en voiture, aux côtés de Rudy Baylor / Matt Damon, embarqué pour une aventure humaine, jusqu'au claquement de portières final, vers une nouvelle destination, peut-être un autre apprentissage (de la vie). Coppola est un habile entremetteur : difficile de juger trop sévèrement l'idéalisme naïf de Rudy Baylor, dont la voix-off, lancinante, omniprésente, commente, évalue, pèse et sous-pèse pour nous dans la balance ce qui est juste, ou non.
L'alchimie du film tient surtout à sa troupe d'acteurs, dont les rôles ont été savamment distribués. Le spectateur se prend facilement de tendresse pour la famille improbable que Rudy Baylor s'est composé : Danny DeVito, mentor débrouillard et attachant, Teresa Wright, grand-mère autoritaire et sécurisante. Encore une fois, Coppola s'y prend bien : comment ne pas voter d'emblée pour ce candidat à la justice, qui s'investit tant qu'il en oublie de se protéger, franchit les bornes professionnelles, traite un client comme un frère, protège une inconnue comme une soeur. A cette tribu cocasse et attachante, le réalisateur ajoute quelques personnages de choix : Jon Voight, avocat condescendant et cynique, Danny Glover en juge magnanime et charismatique, Mickey Rourke en truand borderline, finalement sympathique. Oui, décidément : il y a de quoi savourer le match, caustique, de ces joueurs qui se renvoient la balle avec une fausse cordialité, purement procédurière.
Par souci de réalisme ? Le décor est planté, et le film, tourné à Memphis, où le réalisateur met sur le tapis quelques thèmes de société (violences familiales, protection sociale et système de santé précaire), traités assez conventionnellement, sans trop de risques.
Le film gagne peut-être davantage en épaisseur, lorsque c'est le héros, d'abord, solidement arrimé à ses certitudes, qui doit brutalement se remettre en cause, empêtré dans des compromis plus ou moins moraux, au nom de ses idéaux. Coppola reprendrait-il le fil d'une réflexion amorcée dans la trilogie du Parrain : la cohabitation paradoxale, chez le même individu, de règles et de valeurs personnelles, d'une éthique subjective, avec une égale propension à l'illégalité ou à l'immoralité ? La scène où Rudy Baylor s'acharne sur un corps déjà mort évoque un peu les déchaînements impulsifs et les violences gratuites du Parrain. Coppola s'amusait là de l'hypocrisie des Parrains, qui assistaient au baptême de leurs enfants tout en ordonnant des morts, sans malaise. Baylor subit un traitement différent, cependant. Lui, qui invoque au début l'éthique et l'estime de soi, se heurte quand même à sa conscience. Coppola couve effectivement son héros d'un oeil plus indulgent, moins virulent : Rudy Baylor est surtout largué, dépassé par les événements. Le ton paraît, de toute façon, plus léger que dans ses précédents films. Sans se prendre au sérieux, Coppola n'approfondit pas tellement la réflexion sur les méandres du milieu judiciaire, et propose plutôt une balade initiatique, le récit empathique et entraînant des "aventures de Rudy Baylor".