"Un homme qui n'est jamais idiot n'est pas tout à fait humain"
Celui ci, même avant que je le visionne avait une saveur particulière pour moi, c'était l'un des Kuro que j'avais le plus hâte de découvrir. Pour la simple et bonne raison qu'il s'agit de l'adaptation d'un roman exceptionnel du même nom, L'idiot de Dostoïevski.
S'il est davantage connu pour avoir un fort penchant pour l’œuvre de Shakespeare, Kurosawa était également un adepte de littérature Russe, comme il nous le montrera quelque années années plus tard avec Les Bas-fonds, mais nous y reviendrons en temps voulu.
La première difficulté était de transposer une histoire qui pose ses bases en Russie au 19ème siècle en pleine monarchie à un Japon d'après-guerre. Ainsi au lieu d'un prince, notre personnage principal devient un ancien soldat qui fut traumatisé par un événement. Alors qu'une exécution imminente lui pendait au nez, il fut gracié de justesse, cependant l’ascenseur émotionnel vécu ce jour là lui laissa des séquelles importantes, proche de la démence. Après un long traitement, il explique à un inconnu qu'il souffre désormais d'idiotisme. En réalité, ce n'est pas dans le sens péjoratif du terme qu'il faut le prendre, mais dans le fait que dans nos us et coutumes, un homme vraiment bon passe pour un parfait idiot.
Parce que c'est bel et bien la force de ce récit, ce personnage au coeur pur d'une bonté sans limite pour qui nous ressentons un attachement immédiat. Incompris, considéré comme illuminé, moqué par beaucoup, finira tout de même par bouleverser de nombreux personnages sur son chemin.
Sa façon de voir la vie, de ressentir ce que les gens pensent, sa volonté d’annihiler le chagrin sacrifiant son propre bonheur pour y parvenir.
Il faut d'ailleurs saluer la performance de Masayuki Mori qui jusqu'alors devait se contenter de rôle secondaires et assez peu marquants, explose ici et crève l'écran donnant le change à des monstres comme Mifune et Schimura.
Et quel plaisir de retrouver la magnifique Setsuko Hara dans ce rôle de femme forte et fragile à la fois.
L'idiot version Kuro, est certes plus confiné que la version de Dostoïevski qui dans un roman de plus de 900 pages a pu prendre le temps de poser une galerie de personnages riches et variés. Le réalisateur Japonais tire parti de sa faiblesse en développant avec soin ses protagonistes principaux, respectant l’œuvre originale tout en lui insufflant un certaine mélancolie empreinte de douceur en adéquation avec cette période de souffrance lors de l'après-guerre.
Dans la continuité du dernier plan de Rashomon, le maître nous gratifie d'un drame bouleversant sur l'humanité, miroir de l'âme qui a travers son héros simple d'esprit ou génie peu importe, véhicule un magnifique message d'espoir.
Et si l'idiot le plus noble du cinéma de part sa générosité sans limite, dans sa réalisation, son montage, sa sensibilité, ses plans, son amour du 7ème art, c'était tout simplement Kurosawa ?