Dostoïevski décrit avec amertume les moeurs russes aristocratiques. Leur représentation donne lieu, par leur fausseté, la cupidité et le cynisme, à une farce tragique où l'amour est le grand perdant. Les intérêts et les jalousies s'affrontent pour laisser chacun à son triste sort.
Egaré dans ce milieu terrible, l'Idiot, tel un ange, traine son innocence parmi une société qui le méprise tendrement ou que sa philanthropie -si anachronique- dérange. Car cet enfant naïf, interprété avec beaucoup de talent par Gérard Philipe, sait percer les coeurs et les âmes au-delà des affectations de salons. Il émane du personnage une force poétique et humaine très séduisante. Les autres protagonistes ne sont pas en reste; ils portent tous une véritable complexité puisée dans un oeuvre romanesque très élaborée.
Pourtant le film n'est pas une totale réussite. La mise en scène de Georges Lampin, si elle met en valeur l'essentiel des personnages, et particulièrement l'indicible mélancolie d'Edwige Feuillère, présente peu d'idées, peu de personnalité et rejoint en ce sens le conformisme "qualité française" relativement aux adaptations des classiques littéraires. La meilleure utilité du film reste finalement, et sans ironie de ma part, de nous donner envie de (re)lire Dostoïevski; ce n'est déjà pas si mal.