L'Idiot
6.9
L'Idiot

Film de Akira Kurosawa (1951)

J'aime Dostoïevski. J'aime Kurosawa. Seulement, les deux ensemble ne fonctionnent pas. Dans le même genre d'idée : j'aime la cuisine fusion, mais ce qui peut sembler parfait sur le papier est parfois rigoureusement décevant. Un peu comme ces mauvais restaurants nikkei, affirmant mélanger cuisine péruvienne et cuisine japonaise pour ne servir que des ceviche ou des sushis. L'idée d'un tel mélange se matérialise pour moi par L'Idiot de Kurosawa.



Prince Miskine



Plus sérieusement, rien ne va. Pour le scénario : si l'histoire complexe du livre est évidemment simplifiée dans le film pour éviter de devoir en faire une série de 30 heures, elle perd une grande partie de son essence dans le phénomène. L'Idiot est une histoire polysémique, riche et complexe, enchaînant les confrontations abruptes, les antagonismes et gravitant autour de l'hypocrisie et des faux-semblants d'une haute société russe aussi hétéroclite que décadente. Chez Kurosawa l'histoire est devenue beaucoup plus banale, se focalisant presque uniquement sur le triangle amoureux, plaçant l'histoire dans un triste Japon d'après-guerre et rabaissant l'Idiot à une faiblesse et un aveuglement qu'il n'a pas dans le roman. Chez Dostoïevski l'Idiot est capable d'analyses fines et complexes, seulement il n'est pas dans le calcul et surtout se montre toujours d'une grande compréhension ainsi que d'une indulgence à toute épreuve, presque christique. Chez Kurosawa, l'Idiot est aussi aveugle que bienveillant, point final.



Peer to pire



Musicalement parlant le film n'est pas en reste. Par exemple on à le droit à une version accélérée de Peer Gynt au piano qui n'aurait pas dépareillé chez Buster Keaton. Sérieusement ? Faire plus hors-sujet était-il possible ? Et le violon sur ces visages à la limite de l'expressionnisme ; c'est trop, beaucoup trop. Mais c'est surtout trop une fois additionné à l'éxagération globale du jeu, qui par conséquent ne fonctionne pas. Pourtant l'on est en présence de pointures comme Toshirô Mifune, Takashi Schimura ou Setsuko Hara. Certes le jeu japonais est par essence expressif à cette époque, les émotions s'incarnant parfois de manière explosive, mais ici ça ne cadre pas. Ce doit être une question de ressenti et d'irritation face au surjeu permanent, à un expressionnisme que je trouve ici déplacé, encore alourdi par une ambiance sonore excessive et trop visiblement interventionniste. Un peu de subtilité, voire de simplicité, n'aurait pourtant pas fait de mal. Le cinéaste en est pourtant capable, ce qui en accroit d'autant plus la déception.



Belle-de-nuit



La réalisation est étrange : entre ces transitions en volet mal placées, voire impromptues, et la grande banalité de la mise en scène, on se demande si le réalisateur du film est le même que celui de Rashōmon ou des Sept Samouraïs. Dommage également que tout soit aussi froid... Comparé aux estivales Nuits blanches de Saint-Pétersbourg, qui occupent un passage entier du roman, et malgré le festival sur glace, c'est bien fade. Heureusement le canevas de Dostoïevski est plutôt bien utilisé. Même s'il souffre affreusement de la comparaison avec le roman, même si le personnage qu'est l'Idiot m'a déçu et que ce n'est pas du tout l'image que je me suis fait de Mychkine en lisant le roman. Pour rendre rendre à César ce qui est à César, il faut préciser que Rogojine et Nastasia sont heureusement bien caractérisés, quoique ce n'était pas le plus difficile, mais que les famille Epantchine et Ivolguine ont été complètement croquées.


C'est triste à dire, mais si le film n'avait pas été de Kurosawa, il n'aurait pas une telle moyenne.

Créée

le 17 mai 2018

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Brad-Pitre

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