Une série B généreuse et délicieusement désuete

Derrière ce titre affreusement générique se cache peut-être l’un des plus honorables représentants de cette vague de série B des années 1940-1950, voyant des aventuriers-naufragés-scientifiques-etc. découvrir un petit bout de terre oublié des hommes où les dinosaures existent encore. Un genre de films voulant faire souffler le vent de l’aventure depuis le naseau de grosses bestioles, même si ce courant d’air souffle le chaud et le froid.


Unknown Island fait partie de cette première vague, avant d’autres tels que Lost Continent (1951) ou L’Oasis des tempêtes (1957). Il se démarque d’autres de ses camarades par des moyens supérieurs ou mieux employés, à l’image de ce film en couleurs, un peu passées certes, tourné en Cinécolor. Mais aussi par une plus grande honnêteté, certains de ces films promettant monts et merveilles sur leurs affiches pour ne présenter que quelques bestioles en fin de parcours, et qui ne sont parfois même pas celles de leurs supports de communication.


Dès le début il est question de dinosaures, avec cette expédition menée à leur recherche sur une île bien entendu inconnue mais survolée pendant la guerre par l’un des participants et foulée du pied par un autre naufragé que personne n’avait cru jusque là. Les différents personnages ont de la personnalité, entre le capitaine Tarnowski (Barton Mac Lane) un peu rustre, loup de mer fourbe, la mécène Carole Lane (Virginia Grey), à l’esprit vif, indépendante, Ted Osborne (Philippe Reed), son fiancé, qui veut photographier les animaux préhistoriques, ou le naufragé John Fairbanks (Richard Denning), qui revient sur l’île. Ce dernier se révèle tout de même traité un peu négligemment, d’abord farouchement hostile à l’idée de revenir à ce bout de terre hostile, convaincu lors d’ une ellipse providentielle, transformé en marin méfiant et prudent, mais dont on ne connaîtra pas les intentions. Il aurait pu être cassé, intéressant, le film préfère l’utiliser comme un héros vaguement désabusé, viril et plein de bon sens, trop classique en somme.


Le personnage féminin de Carole Lane est d’ailleurs assez bien traité, du moins pour l’époque, en étant une membre à part entière, à l’esprit acéré et qui ne se laisse pas faire, même si la suite adoucira un peu les angles. Elle sera un des enjeux du film entre les trois personnages masculins précédemment cités, le peu diplomate capitaine, son fiancé, obsédé par ces photographies, et le marin Osborne, plus proche du héros habituel de ce genre de films.


Une autre intrigue secondaire repose sur l’équipage, composé de Maliens pour qui l’île est maudite, pas très bien traités par le Capitaine et ses seconds, et qui organiseront plusieurs mutineries pour se défaire de la main de fer de ces hommes blancs et des dangers de l’île.


Tout ceci permet donc d’apporter un peu de densité, sans que l’histoire ne tourne que et pour ces dinosaures, qui restent le sujet central. L’expédition pacifique afin de réaliser quelques clichés ne sera pas sans quelques décès, même si le danger ne vient pas que de la faune mais aussi de ces êtres humains qui n’ont pas la même ligne de conduite sur ces créatures. Le film se montre assez généreux sur le sujet, en proposant plusieurs incarnations et ce à plusieurs reprises, avec ses versions de stégosaures miniatures, de diplodocus ou de cératosaurus. Il propose même une espèce de gros gorille monstrueux, un monstre à fourrure particulièrement vindicatif.


Nous sommes en 1948, et les trucages ont bien vieilli depuis. Unknown Island en utilise un qui ne sera guère repris par ses camarades de la même période, celui de faire jouer des acteurs dans des costumes. Ce n’est pas nouveau pour jouer un grand singe, ça l’est plus pour jouer un grand saurien. Ce serait le premier film à le faire. Le résultat est plus amusant qu’effrayant, avec ces acteurs qui peinent à se déplacer, leurs petits bras ballants en arc de cercle comme un catcheur qui montrerait ses muscles, ou cette tête trop lourde qui leur donne l’impression d’avoir tout le poids de la misère du monde sur leurs épaules. Ces cératosaurus suscitent plus la pitié que l’effroi, surtout de nos jours, avec une petite pointe d’amusement devant le résultat de cette idée.


Les costumes étant fabriqués, ils seront d’ailleurs rentabilisés sur plusieurs scènes. Dont une fouillis mais presque impressionnante scène entre l’un de ces dinosaures et le gorille préhistorique, qui semble comme une prémonition d’une rencontre entre Godzilla et King Kong.


Ces scènes en costumes intégrales de dinosaures ont été filmées dans le désert de Palmdale en Californie. Selon une anecdote sur le scène d’IMDB, l’extrême-chaleur alors présente aurait entraîné la mort d’un des comédiens. Un triste tribut pour que le film se fasse.


Pour le reste, le film a été tourné en studios, et cela se ressent. Le bateau est filmé par petits bouts et n’apparaît jamais crédible. Tandis que sur « terre », il est évident qu’il s’agit de végétations disposées pour recréer une jungle, mais dont on comprend bien vite les limites et les murs alentours. Les raccords entre les scènes en studio ou dans le désert ne sont pas toujours des plus heureux, mais cela fait partie du charme.


Unknown Island du réalisateur Jack Bernhard apparaît donc désuet dans ses effets, d’un certain kitsch tout de même bien plaisant, mais se révèle comme une série B de ces années assez réussie, assez ambitieuse. Elle propose des personnages assez bien définis, pour une histoire globale qui ne repose pas que sur ses dinosaures, mais aussi d’autres menaces.


Le copyright du film fut tardivement enregistré, ce qui fait qu’il s’est révélé invalide et le film est donc dans le domaine public. Des scènes du film furent réutilisées pour d’autres productions, dont le montage américain de Godzilla Raids Again. Bach films l’a proposé en DVD avec une traduction en sous-titres assez libre, plus corsée, mais aussi une VF qui passe entre les voix originales et français quand ça lui chante.

SimplySmackkk
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le 20 juin 2024

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