C'est fou comme deux sensibilités totalement différentes peuvent s'appliquer à un même sujet.
Il y a à peine quelques mois, John Krasinski donnait vie à ses amis imaginaires via Blue & Compagnie, qui trouvait le chemin des salles obscures. Tandis qu'en juillet, le décrété infâme N rouge offrait un rattrapage à L'Imaginaire, après être passé plutôt inaperçu dans son pays d'origine.
Deux pays, deux cultures, deux approches.
Mais alors que le thème des deux œuvres est étonnamment similaire, on se rend vite compte, après seulement une scène d'animation fertile de couleurs, de décors et d'idées folles, à quel point Blue & Compagnie, aussi sympathique soit-il, ne faisait finalement qu'effleurer son idée de départ, en l'illustrant de manière littérale et en le conformant aux canons d'un hôtel digne d'un resort Disney et d'un ami-crochet pas très inspiré.
Soit tout le contraire de la puissance d'évocation de L'Imaginaire, riche d'aventures partagées et de cavalcades endiablées sans limites autres que celle de l'imagination enfantine, de ses possibles débridés et de ses humeurs, à la source des livres, de l'artistique et des lieux de savoir, carburant indispensable de la fantasmagorie, idée rappelée de très jolie manière par l'oeuvre.
Un pouvoir de création infini, traduisant autant les petits bonheurs de l'évasion et du jeu que les gros chagrins et les absences insondables. Là réside toute l'essence de l'enfance croquée par les artistes du studio Ponoc, virtuoses en ce qu'ils n'infantilisent jamais leur propos. Mais au contraire, réussissent à en embrasser tous les contrastes.
Au cours de la description d'une interdépendance et du lien indéfectible entre l'enfant et sa création, substrat d'un changement de point de vue malin, c'est tout un maelstrom d'émotions et d'influences que L'Imaginaire convoque, vagabondant entre le spectaculaire et l'évasion de L'Histoire sans Fin, la mélancolie et la tendresse d'un Toy Story et un surprenant aspect horrifique lorgnant du côté du fantastique des films japonais ou de certaines nouvelles de Stephen King, renouant avec l'essence des contes de fées.
L'Imaginaire embrasse toute la créativité et les traumas de sa petite héroïne, entre rêves et cauchemars, sublimes tableaux apaisants et mignons et visions inconfortables, en utilisant une animation habitée et douce, superbe dans la subtilité de ses couleurs et de ses ombres, proche de la maîtrise du studio Ghibli sans jamais la singer.
Après Mary et la Fleur de la Sorcière, le studio Ponoc nous offre donc une nouvelle petite merveille vouée, très malheureusement à l'oubli immédiat et à un anonymat des plus honteux au regard des seulement 207 notes et 4 critiques sur un site qui perd de plus en plus son nom, ou encore du silence assez criant d'une presse professionnelle qui, apparemment, n'en a rien eu à battre.
Car nous nous avons tous été plus occupés à nous extasier sur un Alien Romulus qui finalement, n'a jamais essayé d'être un film qui existait par lui-même et ne méritait sans doute pas un accueil aussi bienveillant. Car nous avons pris sans doute plus de plaisir à éreinter Deadpool & Wolverine, la nouvelle cuvée de The Crow ou encore Borderland, nouveaux symboles du néant des gros studios sur lesquels on tape toujours avec ardeur pour acter la mort du cinéma. Car il était bien sûr plus nécessaire de parader en anticipant le désastre de Gladiator II sur la foi d'une simple bande-annonce. Car il est sans doute plus rentable en termes de visibilité et de popularité sur les réseaux asociaux de s'écharper et de dégoiser sur un guignol de youtubeur se mettant en scène en train de gravir l'Everest de sa vacuité.
Tout comme celui des sites pros, qui clament pourtant à l'envi tenter de parler d'autres offres culturelles moins évidentes, notre rôle sur Sens Critique ne serait-il pas un peu oublié ? Celui d'essayer de faire connaître, de mettre en avant, à notre tout petit niveau, et de porter nos coups de cœur et nos enthousiasmes ?
Behind_the_Mask, ♪♫ Elle imagine... Elle imagine ♪♫