Introduction
Désireux d'adapter le roman After Hours d'Edwin Torres, Al Pacino et son ami et producteur Martin Bregman font appel à Brian De Palma pour donner vie au projet. C'est ainsi que le réalisateur de Scarface (1983) et des Incorruptibles (1987), se replonge dans l'univers du gangstérisme en 1993 avec L'Impasse.
Synopsis
Le film nous conte l'histoire de Carlito Brigante ex-caïd de la drogue qui, après cinq ans de prison, désire repartir de zéro, quitter New-York et s'exiler aux Bahamas avec sa compagne Gail. Mais la rue ne le laissera pas s'en tirer si facilement.
Analyse
La rue a ses propres règles, des règles qu'il est primordial de respecter, au risque de finir entre quatre planches. La clémence et les bonnes résolutions n'ont pas leur place dans cet univers, ou vous allez jusqu'au bout ou attendez-vous à en payer le prix fort, car dans ce monde là, tuer rime souvent avec sécurité. Dès sa sortie de prison, Carlito ne désire qu'une seule chose: partir. Pour mener à bien son exil, il estime avoir besoin de 70000 dollars, c'est donc très logiquement qu'il se replonge dans le seul univers qu'il connaît, celui de la rue, dans lequel il a grandi, un monde qui n'est plus fait pour lui, il est désormais animé par trop de bons sentiments pour survivre dans cet univers. Carlito désire plus que tout tirer un trait sur son passé, sur la violence, et c'est justement ce nouvel état d'esprit qui le mènera à sa perte. Carlito est devenu inadapté. Il doit partir ou mourir.
Durant tout le film, Carlito, ne respectant plus les règles de base de la rue, est contraint de faire face, comme bien d'autres personnages, aux conséquences de ces actes. Lorsqu'il refuse de tuer Benny Blanco, il signe son arrêt de mort, il sait qu'il doit le tuer mais n'en est plus capable: "C'est plus moi". Ce dilemme est parfaitement illustré par la mise en scène de De Palma: lorsque Carlito et Benny Blanco règlent leur différend, face à face, De Palma alterne les gros plans sur les visages des deux hommes, le visage de Benny Blanco est inondé de lumière rouge quand celui de Carlito est partagé entre lumière blanche et rouge, en somme, sera-t-il fidèle à l'homme qu'il était ou à celui qu'il est devenu ? La suite vous la connaissez, Benny Blanco repart en vie en jurant la mort prochaine de Carlito, ce qui ne manquera pas d'arriver. De même, David Kleinfeld, assassin du caïd Tony Taglialucci et traître envers Carlito doit essuyer une première fois la vengeance des amis de Taglialucci mais également celle de Carlito qui, à l'issue d'une ultime visite à l'hôpitale où l'avocat se remet de sa première agression, retire les balles de son revolver, le condamnant ainsi à périr sous les balles du fils de Taglialucci. Les erreurs des personnages les poursuivent et les anéantissent. La confrontation en elle-même illustre le dilemme moral de Carlito, le Carlito mesuré faisant face au Carlito de jadis représenté par Benny Blanco.
Carlito Brigante est également victime de son passé, un passé qu'il n'assume que moyennement, un passé qui lui est sans cesse renvoyé à la face par chaque personnage qu'il croise. Ce Carlito n'existe plus mais tel un fantôme, le poursuit, et même s'il a changé, Carlito ne parviendra jamais à faire oublier celui qu'il a été, Gail elle-même finira par remettre en question la métamorphose de Carlito. Son passé le poursuit.
Pour autant, ayant vécu depuis sa plus tendre enfance dans l'univers de la rue, certains réflexes restent, inévitablement, et en particulier son attachement à rendre service à ceux qu'il considère comme ses amis, services qui, couplés au fait que Carlito ne respecte plus la loi de la rue, le mèneront à sa perte. C'est par exemple pour rendre service à son ami Kleinfeld qu'il vire Benny Blanco de la boite de nuit et par conséquent signe son arrêt de mort en ne le tuant pas, mais également en accompagnant Kleinfeld sur le bateau, se rendant par conséquent complice du meurtre de Tony Taglialucci.
Le film aborde également le thème de l'amitié, une notion toute relative dans l'univers de Carlito. En effet, il est intéressant de remarquer que des personnages comme Kleinfeld ou encore Pachanga, considérés comme des amis par Carlito, finiront par lui faire défaut. De la même manière, les soi-disant amis trafiquants du neveu de Carlito en viendront à le trahir.
L'Impasse fait partie de ses films qui prennent le temps de se mettre en place, de présenter leurs enjeux. Si le film débute sur un rythme relativement lent, les évènements se précipitent pour Carlito comme pour Kleinfeld à partir de l'assassinat de Tony Taglialucci: "Dave on est mort, tu nous as tués". Carlito sait pertinemment qu'il ne pourra pas s'en sortir, que lui et Kleinfeld sont allés trop loin: "Quand on franchit une certaine limite, on peut pas revenir en arrière, le point de non retour, Dave l'avait franchie, et moi avec".
Pour autant, il reste un espoir pour Carlito, un rayon de lumière parvenant à se frayer un chemin dans les bas-fonds de New-York: son grand amour: Gail. Pour Carlito, elle représente une échappatoire, le seul fil qui le rattache au monde extérieur. Elle peut également être vue comme la conscience de Carlito le dissuadant de partir sur le bateau afin d'aider Kleinfeld.
L'histoire d'amour entre Carlito et Gail (genre La belle et le clochard) semble même hors sujet par rapport au reste du film. Les scènes d'intimité entre Carlito et Gail font l'effet d'une bouffée d'air à la fois pour Carlito mais aussi pour le spectateur, une sorte de retour à la surface avant de replonger dans les eaux troubles du monde de la rue. Mais voilà, si Carlito se prend à rêver d'une nouvelle vie, Brian De Palma nous fait comprendre, et ce dès le générique du film, que notre héros est condamné. En vérité, la simple décision de se replonger dans l'univers dans lequel il a toujours vécu, le condamne.
Si L'Impasse reste à ce point mémorable, c'est aussi grâce à la mise en scène ultra efficace de De Palma. Ici pas de split screen mais des demie-bonnettes en veux-tu en voilà, des plans-séquences, de la caméra subjective, de la tension, des contre-plongées, des lumières rouges, des plans débullés, des plans-séquences en caméra subjective, bref, aucun doute, nous sommes bien chez De Palma. Ce dernier parvient à créer, via la mise en scène, le montage ou encore la musique, des scènes de tension dont lui seul à le secret. Deux scènes en particulier illustrent le génie de la mise en scène de De Palma: La fusillade dans le bar aux murs rouges ou encore le segment final dans le métro puis la gare. Dans la première scène, le réalisateur nous met en confiance, le neveu de Carlito doit récupérer dans l'arrière boutique d'un barbier, une livraison de drogue auprès de trafiquants qu'il connaît, des "amis". Musique latino, alcool, femmes, billard, tout paraît normal quand tout à coup, De Palma brise cette tranquilité en nous montrant, en vue subjective, la porte des toilettes, entrouverte. Par l'incongruité de ce simple plan, De Palma insuffle une tension chez Carlito et chez le spectateur faisant basculer la scène dans une toute autre atmosphère. Cette atmosphère est renforcée lorsque Carlito demande à aller aux toilettes avant que l'un des trafiquants ne l'en dissuade en prétextant que chasse d'eau est en panne. Le plan suivant nous montre une nouvelle fois la porte des sanitaires entrouverte se refermer. Carlito comme le spectateur a dès lors la confirmation qu'il se passe quelque chose d'étrange. La musique s'accélère, le volume augmente, le cerveau de Carlito est en ébullition (léger zoom avant sur le visage de Carlito sur fond de briques rouge), les attitudes bienveillantes des trafiquants sonnent de plus en plus fausses, Carlito s'excite autour du billard, des regards suspects sont lancés en direction de la porte, la tension monte avant que l'action ne commence. A la manière de Sergio Leone, De Palma se complait, comme il l'avait déjà fait avec brio dans Les Incorruptibles, à dilater le temps au maximum en disséminant des indices à droite à gauche pour créer la tension. La scène finale est construite selon le même schéma.
Le segment se déroulant dans un métro puis dans la gare centrale de New-York met en scène une course poursuite entre Carlito et les hommes du clan Taglialucci. Tout dans cette scène a pour but de faire ressentir l'urgence de la situation: la mise en scène, le montage, la musique de Patrick Doyle. Dans cette scène, Brian De Palma fait encore une fois preuve de sa grande maîtrise dans le domaine du plan-séquence, le cinéaste sait parfaitement comment l'utiliser et dans quel but, ici, le plan-séquence suivant le personnage de Carlito lors de son escapade dans la gare centrale, place le spectateur aux côtés du personnage en temps réel, résultat, la tension augmente drastiquement, le spectateur est mis sous pression, espérant ne pas tomber, au détour d'un escalator, sur un des italiens. De Palma joue avec le spectateur, lorsque Carlito parvient à semer les italiens, la pression retombe, Carlito comme le spectateur se prend à espérer... jusqu'au coup de feu final qui marque la fin du voyage, de l'espoir et du rêve de Carlito.
Conclusion
Ce film m'a cueilli dès le premier visionnage, sa tension, ses enjeux, ses personnages, les thèmes abordés, le charisme phénoménal d'Al Pacino et Sean Penn ou encore la mise ne scène très efficace de Brian De Palma m'ont profondément marqué et poussé à considérer L'Impasse comme un véritable chef-d'oeuvre du septième art.