Dans le couloir entre la vanité et la délivrance
Dix ans après son remake de Scarface, Brian de Palma retrouve Al Pacino pour lui confier un de ces rôles de gangster tragique. L’Impasse est un film de grande ampleur, de ceux qui sont entrés dans toutes les collections classiques et devenus des références du genre à l’instar de Heat ou Les Affranchis.
A priori il ne dit et n’apporte fondamentalement rien de neuf. Il parvient de toutes façons à désamorcer les résistances, comme un tour de piste réconfortant sur des territoires qu’on ne voudrait pas lâcher. C’est au moins une promenade de santé dans les cymes du genre, avec un De Palma simplement fidèle au meilleur de lui-même.
Le travail esthétique est à cette image, avec ces séquences extatiques intenses et des profondeurs de champ extrêmement étendues qui ont pour effet d’intégrer tout l’environnement des personnages. En plus d’illustrer la prise de conscience de Carlito/Al Pacino, cela a notamment pour effet de doper la remarquable fuite finale, modèle dans le genre. Contre-coup du succès, ce travail d’orfèvre admirable a posé problème dans l’exploitation du film, en particulier pour la télévision, obligée comme souvent d’écraser l’image et gâchant ainsi une grande part du spectacle.
À la flamboyance aveugle ou les tourments assourdissants d’une fresque incandescente (type Casino), L’Impasse préfère une transformation mature, où les beaux restes et les nouveaux espoirs cohabitent le plus harmonieusement possible. L’orientation du film est mélancolique et il raconte moins une conquête ou une chute qu’une tentative de renouveau, où la satisfaction aurait une autre saveur. Ici, le sang et la vie mafieuse ne sont pas une perspective mais une seconde peau qui insiste.
Adapté des nouvelles Carlito’s Ways et After Hours de Edwin Torres, converties par le scénariste David Koepp (Hypnose, Mission Impossible), L’Impasse se déroule ainsi autour d’un Al Pacino sorti de prison et préparant sa retraite. Il ne reprend les affaires que de loin, en défilant comme un fantôme, un fantôme costaud. Mais il s’y mouille plus qu’il ne le voudrait, forcément.
L’Impasse fait écho à Scarface et se pose comme sa correction lucide. Al Pacino ne veut plus imposer sa marque et exploiter, mais se recueillir dans un îlot idyllique, sans plus troubler le monde. Il refuse l’hypocrisie : « se ranger » n’a aucun sens, c’est l’expression pudique des gens fatigués. Et il l’est, en plus de se sentir assagi, raisonné au moins. En tout cas il perçoit les éléments et plus seulement sa volonté ou son appétit. Ce conservatisme, non sans promesses ni éclats, fait de L’Impasse un film de gangsters différent des autres, relativement proche dans l’esprit du cinéma de Abel Ferrara et en particulier de son King of New York.
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