La voie de Carlito, on la connait tous ; on a beau savoir que c’est une impasse, on y revient. On le sait, c’est les pieds devant qu’il avance, dès le départ, dans un monde qui marche sur la tête.

Et pourtant.

Ce qui nous attire, c’est moins l’escape to the Paradise que ce retour à ce trajet vers une rédemption impossible. Louer des bagnoles aux Bahamas, faire des enfants, personne n’y croit vraiment.

Mais les yeux de Gail et ses bras courbés avec les autres danseuses, vues d’un toit un soir de pluie, ça vaut le coup de mourir une nouvelle fois.

Alors on reprend, et on se laisse porter par la voix de Carlito. Eraillée, désenchantée, ne cessant de se résigner à mourir, elle constate l’échec de son retour et son départ imminent. Le monde a changé, croit-il. Plus de respect, plus de code ; la coke, qui les rends euphoriques, à côté de la plaque. Le problème, c’est qu’il est pratiquement tout seul, sur cette plaque, et qu’il a la gueule de bois qu’eux n’auront même pas le temps de se taper.

Les Benny from the Bronx et compagnie ne sont que les rétroviseurs sur le petit con que tu étais avant la tôle. Les amis n’en ont jamais été vraiment. On te met sur écoute, on t’entraine dans les caves les plus sordides.

Le rouge des briques du billard, ou les couloirs dorés de Grand Central chantent la même mélodie : traque, lame, sang.
Si tu ne joues plus le jeu de la came et du fric, tu es le grain de sable dans l’engrenage.

Et quand la roue dentée force, elle broie.

La liberté.
C’est un discours au tribunal où tu parles de rédemption presque sans ironie. Tu le sais bien, les rues de New York sont l’annexe de la prison. Tu es dans un purgatoire, et le cliché du dernier coup avant la retraite te pend au nez. Comme un imbécile, mais avec une foi déconcertante, tu réponds par d’autres clichés : l’amour, les Bahamas, l’enfant, « You are so beautiful ».
Tu fais l’erreur de construire.

Ta véritable libération, c’est lorsque tu brises la chaine de la porte de son appartement… et c’est ce jour-là que tu t’enchaines à la mécanique tragique.

Dans ce luxe qui s’effondre, avec tes lunettes noires et ton manteau long de cuir, si tu n’es pas capable d’achever un homme allongé sur une poubelle et le balancer dans l’égout, il ne te reste plus qu’à laisser les chiens s’entredévorer… et à courir.

Parce que c’est toujours la même chanson. Benny, Taglialucci, Saso, Pachanga : tous les couplets convergent vers le même refrain funèbre.
On te l’offre alors, ta dernière danse avec New York.
Cette fuite lyrique sera l’une des seules beautés de ta vie qui court vers l’impasse.
Les mouvements circulaires qu’on voyait déjà tant dans les escaliers de ta boite de nuit s’épanchent sur la ville entière.
On y croit.
Tu peux te jouer de son labyrinthe pour y semer les chiens à tes trousses.
La ville est tienne.

Immobile, tétanisé, tu contemples l’affiche de l’échappée vers le Paradis qui s’anime ; Gail danse, écho de cette première séquence sur les toits où tu la regardais sous la pluie.
Tu la quittes, tu nous rejoins, spectateurs retournés par une caméra oblique, puis à l’envers, nous invitant à la seule chose capable d’apaiser la tristesse : reprendre le fil de la mémoire, et retourner à l’entrée de l’Impasse.

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Sergent_Pepper
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le 7 juin 2014

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Sergent_Pepper

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