Dix ans après le mythique Scarface, Al Pacino retrouvait Brian De Palma dans L'Impasse. Impossible de ne pas noter la ressemblance entre les deux films, tant et si bien qu'on y est poussé par le fait que ce soit le même réalisateur, le même acteur principal. Mais au delà de ça, les éléments concordants sont nombreux, le parallélisme semble voulu ou du moins suggéré dans la structure globale.
Il est intéressant dès lors de voir que, pourquoi pas, plus qu'un hommage anniversaire, Carlito's Way serait en fait une espèce de suite alternative à Scarface. Les deux personnages, immigrés hispanophones semblent comme liés l'un à l'autre ceci malgré leurs différences notables : le personnage plus mesuré de Carlito, face au pulsionnel Tony... Al Pacino a la maestria de tout à la fois incarner véritablement Tony Montana et Carlito Brigante avec la profondeur et la complexité propres à chacun mais en perpétuant une sorte d'osmose, une parenté évidente, ou même une unité, une fusion entre les deux personnages.
En effet, sans aller chercher loin il n'est pas sot d'imaginer que Carlito Brigante serait un Tony Montana qui ayant connu un autre sort, celui de faire de la prison, se serait repenti sans nier ce qu'il est. Le personnage de Carlito Brigante ressemble à un Tony Montana éprouvé, plus réfléchi aussi qui voudrait mettre à dos son passé sans pour autant devenir un autre, mais faute de rattraper ses erreurs, ce sont ses erreurs qui le rattrapent. Cependant il est difficile de prêter à Tony M l'implacable sens de l'honneur de Carlito, et peu probable également que cinq années de prison tordent le caractère unique du gangster cubain. Autre limite à ce parallélisme, l'anachronisme des histoires, puisque Carlito serait un personnage dont la jeunesse serait postérieure à celle de Tony Montana ( déjà trafiquant de cocaïne, alors qu'on apprend que Carlito était le roi de l'héroïne ). Si on peut redoubler d'hypothèses quant aux volontés de De Palma en ce qui concerne l'éventuel lien entre les deux films, il est clair que l'objectif n'était pas de reprendre les détails de Scarface pour qu'ils s'emboitent à cette possible suite mais plutôt laisser planer un doute insondable et insolvable, afin de perpétuer par d'autres biais le mythe Tony Montana et de dresser de la sorte un pont invisible entre les deux œuvres qui par delà leur singularité s'inscrivent toutes deux dans une étonnante cohérence d'esprit.
Moins spectaculaire, moins essentiel que Scarface, L'impasse fait pourtant bonne figure et exploite parfois de façon plus réfléchie et artistique des registres communs, on pense aux histoires d'amour des deux films qui se répondent l'une à l'autre avec plus de ferveur et d'émotion dans L'impasse ( voir la magnifique scène où Al Pacino, sous la pluie, admire sa belle danser ) et de façon plus physique et pragmatique dans Scarface, où la sublime Michelle Pfeiffer fait souvent figure de trophée pour ce Tony Montana définitivement plus amoral et opportuniste. L'Impasse n'égale donc pas son ainé, mais comment l'aurait-il pu ? D'un répondant spectaculaire, De Palma fait œuvre originale, au sauvage et indomptable Scarface il préfère cette fois la voie réflexive et détachée d'une rédemption bouleversante. Immanquable.