L'Important, c’est d’aimer d’Andrzej Żuławski est un film extraordinaire : empli de noirceur, son récit tisse des liens puissants et désespérés entre chaque personnage.
C’est un long-métrage picaresque : il pose un regard cru sur les orgies poisseuses que Servais, le protagoniste principal, doit photographier pour le compte d’un mafieux inquiétant et faussement paternaliste, Mazelli.
C'est donc un film désespéré, mais qui n’oublie pas de montrer parfois une profonde humanité, comme avec la relation entre le même Servais et l’un des meilleurs personnages secondaires jamais vu au cinéma, joué par un Michel Robin exceptionnel : celui-ci est un homme dont la femme l’a trompé et quitté pour Servais ; alcoolique et fumeur à l’excès, à la fois bonhomme et pouilleux ; enveloppé d’une robe de chambre à carreaux, il conseille Servais et l’aide du mieux qu’il peut, par une sorte de charité inexplicable pour cet ancien amant de son ancienne compagne.
Jacques Dutronc interprétant Jacques Chevalier, l’époux de Nadine, est également exceptionnel en dépressif fantasque, qui a sombré dans le désœuvrement le plus total et assiste apathique et impassible aux tentatives de Servais de séduire sa femme. Le voir, sur un matelas à même le sol, en pyjama, puis enchaîner les bouffonneries (tractions, histoires fantaisistes), alors que le photographe fait se dénuder sa femme en quelques minutes dans l’espoir d’une couverture fait d’emblée de ce personnage une figure extrêmement complexe, profonde et émouvante : drôle au départ, il se mue de plus en plus en personnage pathétique, anéanti par le chien noir de la dépression. Les images du film sont grisâtres, marronnasses, verdâtres, et ne laissent quasiment aucune place aux couleurs vives : quand elles apparaissent dans le long-métrage, c’est au détour d’une robe de prostituée, des murs d’une chambre glauque et des harnais de prostitués. C’est une véritable représentation des bas-fonds de Paris et des arrière-cuisines du monde du spectacle, où un photographe raté immortalise bien vite des parties fines, une actrice déchue est vite condamnée à des séries Z crapuleuses et ou des drag-queens se muent en prostituées. La relation entre Nadine et Servais, sorte d’amour impossible poussé par l’obstination et l’obsession du personnage joué par Fabio Testi, qui va jusqu’à se mettre en danger et à traiter avec le fameux Mazelli, avec lequel il ne voulait plus avoir rien à faire, est également assez prenante : l’amour profond de Nadine pour son mari, véritable clown blanc, l’empêche de céder à son attirance.
C'est un film qui m'apparaît comme un classique de ce cinéma français des années 1970 tellement varié et intéressant ; la démarche de ce réalisateur polonais de tourner des films en France m’a rappelé celle de Milan Kundera en littérature et du compatriote de celui-ci, Milos Forman, parti à Hollywood. Ce regard singulier, souvent assez sombre, des auteurs d’Europe de l’Est, irradie ainsi vraiment dans ce grand film, qui est devenu l’une des mes références.