Un titre comme L'Incinérateur de Cadavres, cela augure du crapoteux, un déchaînement horrible, une violence débridée et graphique.
Le fait que le film commence au zoo, devant la cage d'une panthère, et présente son personnage souriant et suave dans sa voix, qui nous conte sa première rencontre avec son épouse, a donc tout de l'inattendu. Mais j' y reviendrai peut être plus tard...
Vendu comme une oeuvre d'épouvante / horreur, il faudra attendre très longtemps ces deux composantes. Et encore. D'autant plus que Juraj Herz se plaît manifestement à glisser çà et là des séquences d'un humour particulièrement pince sans rire.
Sauf que dans ce cas précis, cette attente est loin d'être une déception.
Car la dégradation est lente. Car voir Rudolf Hrusinsky dans un tel rôle étonne, alors qu'il est dans son pays le portrait robot du personnage gentil. Celui qu'il incarne dans L'Incinérateur de Cadavres semble fait du même bois. Sauf que quelque chose cloche définitivement.
Le malaise est latent, installé tout d'abord par cette mise en scène adopté par Herz, qui choisit de jouer à fond la carte de la proximité en filmant son protagoniste face caméra, comme s'il brisait le quatrième mur sans pour autant s'adresser au public, mais plutôt à un miroir. Le réalisme quasi documentaire déstabilise. Les séquences « humoristiques », elles, achèvent de priver le spectateur de repères, ne sachant pas s'il convient de rire en pareille circonstance, comme lors d'un enterrement.
La dégradation est lente : de philosophie de vie et de libération, l'amour troublant devient peu à peu obsession. Et la pureté de l'âme dévie vers celle de la race. Et si nous sommes tous pareils dans la cendre, le sang, lui, ne saurait être troublé par une quelconque souillure.
Les graines de la démence ordinaire ne tardent pas à germer sous la séduction et l'influence de l'idéologie nazie. Et le voyage de Kopfrkingl se confond avec le pourrissement et la déliquescence de son pays. En forme de basculement vers le nazisme et la solution finale. Jusqu'à cette montée proprement terrifiante de la folie, bien plus choquante dans ce qu'elle implique pour sa victime, que tous les excès graphiques, que toutes les tortures imaginables. L'épuration de la vie du personnage commence donc, irrémédiable, inéluctable, tandis qu'il est littéralement habité par un radicalisme horriblement ancré, froid et sûr de lui.
Au malaise succède le dégoût, et le choc transgressif est total. L'allégorie, elle, revient subitement en mémoire. Comme une évidence. Devant le souvenir de cette panthère, on se prend à réaliser, avec horreur, qu'un prédateur vit tapi en chacun de nous et qu'il n'attend qu'une étincelle pour défoncer la porte de sa cage.
Et là, l'épouvante s'installe. Durablement, bien après la fin de la séance.
Behind_the_Mask qui aime bien l'odeur qui sort du four.