L'Inconnu du Lac, une maîtrise totale pour un film d'équilibriste.
Ce qui frappe dans L'inconnu du Lac, c'est la maîtrise totale des outils cinématographiques. Non seulement le scénario, la mise en scène et la direction d'acteurs de Guiraudie, mais également l'ensemble des éléments techniques: image, son, montage. Tout ici contribue a l’équilibre tenu que tient le film de la première à la dernière minute.
Des le premier plan nous sommes plongés dans un environnement a la fois familier (une plage au bord d'un lac) et totalement étranger (ces hommes nus qui déambulent dans les bois en quete de rapports sexuels). L’omniprésence de la nature, tour a tour accueillante ou menaçante renforce cette sensation paradoxale.
Le scénario est d'une justesse absolue dans sa description d'une sexualité homo dans laquelle les rapports sont d'une extrême simplicité (on peut coucher avec quelqu'un sans même savoir son prénom) d'ou résulte une immense solitude (on peut disparaître sans que personne ne s'en aperçoive). Tous ces hommes sont seuls ensemble.
Dans une économie permanente, Guiraudie parvient à dessiner des personnages complexes et intriguant, qu'on a envie de retrouver jour après jour sur cette plage, comme le personnage de Franck. Le rythme du film, chapitré habilement par ce premier plan de parking qui se répète, permet au film d'avancer au bon tempo. Ce qui est fort c'est qu'au fur et à mesure que le film avance, on passe par une gamme de tonalités très différentes, entre scènes de sexe, sentiments, moments vraiment comiques et finalement thriller haletant. La dernière séquence, d'une beauté formelle rare, laisse le souffle court au spectateur. C'est ici la nature qui a de loin le rôle principal. Elle est partout, elle encercle les protagonistes, c'est un véritable huis clos à ciel ouvert. Le spectateur y est plongé à travers la lumière (parfois aveuglante, parfois crépusculaire) et le son (le bruit du vent dans les feuilles, le clapotis de l'eau, à la fois tranquille et inquiétant). Tous les sens sont ici en éveil.
Au delà de son aspect "sociologique", le film est également très personnel. Guiraudie parle de ses propres fantasmes, de ses propres démons. Ainsi, le personnage représentant la tentation est bien loin des canons de beauté actuels, il semble tout droit sorti d'un film porno des années 70-80. Et du porno il en est question ici puisque le sexe y joue un rôle majeur. Il est abordé de manière frontale, assumée. Une des nombreuses prouesses du réalisateur, c'est de ne jamais tomber dans la provocation facile. Il reste totalement en phase avec son sujet et dirige ses acteurs avec virtuosité. Ainsi les dialogues forment une partition sur laquelle les acteurs se livrent corps et âme. Mention spéciale a Patrick D'Assumçao, qui livre une prestation touchante et toute en retenue (espérons que l’Académie des Césars s'en souviendra).
Tel un funambule, Alain Guiraudie tient son film sur un fil de bout en bout et nous entraîne avec lui, attention au vertige!