« You wouldn't like me when I'm hungry. » BRUCE BANNER

En 2005, Kevin Feige, producteur en chef de MARVEL Studios, amorce une véritable transformation de l'industrie cinématographique en rêvant d'un univers partagé où les super-héros coexisteraient. Comme un Dr. Jekyll cherchant à libérer son alter ego surpuissant, il décide d'affranchir MARVEL Studios de la tutelle des autres grands studios traditionnels. Mais cette ambition se heurte à une réalité contrastée : les droits d’exploitation cinématographiques de nombreux personnages MARVEL sont déjà dispersés entre plusieurs studios, un paradoxe qui ralentit la concrétisation de son projet.

Dans cette lutte d'influence, un des premiers compromis se noue avec Paramount Pictures, qui accepte de distribuer Iron Man, le premier film du Marvel Cinematic Universe (MCU). Mais pour faire de ses Avengers une réalité, il faut récupérer d'autres figures emblématiques. Parmi elles, Hulk, personnage par excellence de la dualité, se retrouve au cœur des discussions. Kevin Feige voit en lui l’opportunité d’approfondir le thème du conflit entre l’homme et la bête, à l’image de l’affrontement idéologique qu’il doit lui-même mener dans les coulisses d’Hollywood.

L’histoire se complique avec Universal Studios, qui détient toujours les droits d’exploitation de Hulk au cinéma. Cependant, le revers critique et commercial du Hulk de Ang Lee les pousse à réévaluer leur position. Cet échec, semblable à un Mr. Hyde incontrôlable, convainc Universal de laisser MARVEL Studios exploiter le personnage tout en conservant la distribution du film. Un accord qui témoigne d’une alliance fragile, oscillant entre contrôle et liberté artistique.

Le scénariste Zak Penn est alors chargé de réécrire l’histoire de Hulk, un exercice difficile, car il doit proposer une nouvelle vision tout en gérant l’ombre du film précédent. Comme Bruce Banner tentant de maîtriser la créature en lui, Penn doit jongler entre une fidélité aux comics et une approche plus moderne. Fort de son expérience super-heroïque sur des films comme X2, Elektra et X-Men : The Last Stand, il cherche à proposer une narration plus dynamique et immersive, tout en restant proche du ton sombre et introspectif du personnage.

Pour la réalisation, MARVEL fait appel à Louis Leterrier, un choix qui s’inscrit dans une tendance à l'époque : l’engouement d’Hollywood pour les réalisateurs français. Leterrier possède un style visuel nerveux et un sens de l’action percutant, ce qui correspond à la vision de MARVEL pour ce reboot.

En 2008, The Incredible Hulk arrive en salles, seulement cinq ans après la tentative de Ang Lee. Cette sortie rapide pose la question de la perception du public : s’agit-il d’un renouveau bienvenu ou d’une tentative trop précipitée ?

Le film fait le choix judicieux d'éviter une redite de l’histoire de la création de Hulk, contrairement à la version réalisée par Ang Lee. Ici, le spectateur est plongé dans un récit où Bruce Banner est déjà pleinement conscient de sa malédiction. Ce positionnement narratif permet une immersion plus rapide et met immédiatement en exergue la dualité qui régit son existence : l’homme de science en quête de contrôle face à la créature sauvage qu’il abrite.

L’histoire de la transformation de Banner en Hulk est néanmoins abordée à travers le générique d’ouverture et des flashbacks disséminés dans le film. Cette idée vient directement de Edward Norton, qui incarne Bruce Banner avec intensité. Cependant, son implication ne se limite pas à l’interprétation : il exige de réécrire le scénario, provoquant ainsi des tensions avec MARVEL. Ce conflit entre vision artistique et logique de studio illustre bien la dichotomie qui habite Banner lui-même : un homme déchiré entre sa volonté de bien faire et son incapacité à contrôler ses pulsions destructrices.

Edward Norton, en plus d’avoir retravaillé le scénario, souhaitait inscrire le film dans une tonalité plus sombre et psychologique. Selon lui, Hulk représente une figure prométhéenne, un être condamné à souffrir pour avoir osé franchir les limites de la science. Cette idée se ressent dans les scènes de solitude de Banner, constamment traqué et en exil, toujours en lutte contre lui-même.

En opposition à Banner, Tim Roth incarne le capitaine Emil Blonsky, un soldat qui ne cherche pas à fuir sa nature, mais à l’élever vers une puissance absolue. Contrairement à Banner, qui voit en Hulk une malédiction, Blonsky recherche avidement cette transformation. Son acceptation du sérum de super-soldat puis de l’énergie gamma fait de lui l’Abomination, une créature qui représente un miroir déformant de Hulk. Il incarne la face sombre du désir de puissance, là où Banner lutte pour contenir la sienne.

Les effets spéciaux marquent une nette amélioration par rapport à la version de Ang Lee. Hulk et l’Abomination apparaissent plus réalistes et plus ancrés dans leur environnement, renforçant leur crédibilité. Leur affrontement final, bestial et destructeur, est une apothéose de la thématique du film : la confrontation entre deux visages de la monstruosité.

La relation entre Bruce et Betty Ross, incarnée par Liv Tyler, constitue un élément central du film. Betty, seule à percevoir l’humanité persistante de Bruce au-delà du monstre, symbolise l’ultime ancre qui le relie à son identité. Son regard empreint de compassion s’oppose au rejet général dont Hulk est victime, renforçant l’idée que l’amour et la compréhension peuvent être les seules forces capables de tempérer la destruction.

Le film offre également des clins d’œil aux fans, avec les caméos de Stan Lee et Lou Ferrigno, exactement comme dans le Hulk de Ang Lee.

Mais le moment le plus marquant reste la scène post-générique, qui voit l’apparition de Tony Stark, incarné par Robert Downey Jr.. Ce caméo préfigure la construction du MCU et scelle la place du film au sein d’un projet cinématographique bien plus vaste.

Cependant, les tensions entre Edward Norton et MARVEL ne s’estompent pas avec la sortie du film. L’acteur, frustré par son manque de contrôle sur la version finale, continue de critiquer le studio, ce qui va reconduire à son remplacement pour les films suivants du MCU. Ce changement va poser un problème de cohérence interne…

The Incredible Hulk se révèle être une œuvre batarde qui explore la dualité intrinsèque entre la fragilité de Bruce Banner et la furie de son alter ego Hulk, tout en illustrant le conflit constant entre vision artistique et impératifs commerciaux. Ce film, à la fois sombre et introspectif, pose les jalons d'un MCU ambitieux où l'homme et le monstre se complètent et se confrontent, offrant ainsi une lecture nuancée du mythe du super-héros.

StevenBen
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le 4 févr. 2025

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Steven Benard

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