De retour sur l’archipel après les incursions assez oubliables en France (La Vérité, 2019) et en Corée (Les Bonnes Etoiles, 2021), Kore-eda renoue avec ses thématiques de prédilection, dans un récit choral permettant une radiographie collective accolée au questionnement qu’il a toujours creusé sur la famille et les interactions sociales.
L’Innocence a toutefois la particularité d’éclater la structure narrative et de transcender le noyau familial qui lui sert habituellement de centre névralgique. Le récit s’organise ainsi sur trois pans, alternant différents points de vue sur une même série d’événements, dans une structure reprenant les principes de co-construction du Rashōmon de Kurosawa. À la mère d’un enfant harcelé et son rapport conflictuel avec l’équipe pédagogique succède le point de vue du professeur incriminé, puis celui des enfants au centre des préoccupations.
En découle un récit assez inégal et qui, comme souvent avec l’effet Rashōmon, ne résiste pas aux coquetteries un peu vaines. Revoir trois fois le même événement (l’incendie initial, la bagarre dans la classe…) en réévaluant la vérité, et pour reprendre le titre français, l’innocence des protagonistes que tout accablait relève souvent de l’exercice de style, et rejoint la sur-écriture souvent en vigueur dans le cinéma de Farhadi. On y retrouve cette même leçon visant à éduquer le regard du spectateur, qui ne doit pas se fier à sa première impression et suivre le surplomb d’un cinéaste ayant, en amont, soigneusement disposé le théâtre des opérations pour assener sa démonstration – et, surtout, jubiler de l’effet de sa virtuose partition.
En définitive, tout le deuxième segment est dispensable, et aligne assez gratuitement les effets d’écriture. On peut redouter la suite du récit au vu des directions prises, mais c’est sur le dernier pan que Kore-eda prouve qu’il n’a rien perdu de sa finesse. Ses retrouvailles avec les enfants renouent avec la singularité inégalée de ses plus grands films (I Wish, Nobody Knows notamment), où le cinéaste se met à hauteur d’être vulnérables, et dont les émotions sont en pleine construction. C’est là l’idée centrale, - celle du titre original, Monstre, que de découvrir ses élans, ses contradictions et se définir par rapport au regard des autres. En confrontation avec la codification rigide des normes sociales et la violence inhérente aux échanges collectifs, les deux camarades nouent une relation forte qui va se muer en fugue, occasionnant une très belle ouverture sur la nature et des territoires qui n’appartiendront qu’à eux.
C’est aussi l’occasion pour Kore-eda d’aborder un sujet nouveau dans son cinéma, qui a toujours fait du secret et de l’intime son champ d’exploration. La relation amoureuse entre les garçons atteste d’un véritable courage de la part du cinéaste qui la traite avec l’empathie poignante qu’il a toujours su réserver à ses personnages, lui donnant l’évidence et la légitimité que la doxa lui refuse encore.
Lorsqu’un des enfants confie son douloureux secret à la directrice, celle-ci lui conseille de souffler dans un trombone pour donner une destination et une mélodie à ses émotions. Ou comment, sans les artifices parfois superfétatoires du langage, soulager l’âme en peine. Un conseil que le scénariste aurait dû prendre à son compte.