L'adaptation de la réalité à l'idéal romantique

Malgré un montage inachevé, L'innocent demeure une grande œuvre d'un cinéaste majeur qui de son fauteuil roulant parvint malgré tout à faire exprimer tout son art.


En raison du décès de Visconti, déjà gravement atteint après une attaque cérébrale, ce film a dû s'arrêter au premier montage - personne n'osant toucher au travail du maître - ce qui explique les transitions parfois surprenantes entre les scènes ou certains déséquilibres auxquels il ne nous avait guère habitué. C'est cette lacune qui ressort au premier regard. Néanmoins, la fascination qu'exerce ce film envoûtant annule cette syntaxe parfois déficiente pour laisser place à la magie du cinéaste et de l'histoire qu'il a librement puisée dans le roman éponyme de G. D'annunzio - comme nous l'annonce la première scène.


Réalisateur aux qualités multiples , il nous fait montre avant tout de son talent de conteur, certes aidé par l'écrivain italien, mais adaptant avec les codes propres au cinéma la vie tumultueuse du très romantique Tullio et de ses amours changeantes, dans un récit haletant guidé par ses revirements amoureux, va et vient sentimentaux entre Giuliana et Teresa – épouse et amante respectivement. En outre, il nous montre ces mondes intimement tourmentés à travers un regard d'esthète qui s'est attaché à des costumes seyant à merveille aux personnages et ayant la force visuelle de révéler le statut social des personnages ainsi que les liens qui les unissent; à de somptueux décors d'une opulente aristocratie (qu'il connaît personnellement) et parmi lesquels la beauté des acteurs est sublimée; à une photographie captant la parfaite harmonie qui fait correspondre les corps et les intérieurs.


Ces mêmes corps seront magistralement mis en scène, principalement aux instants clés de l'intrigue, comme lorsque Tullio décide de revenir auprès de sa femme, qui, elle, hésite à se livrer, moment d'une grande intensité dramatique que magnifie le cinéaste dans un dialogue cinématographique opposant les époux, épaule contre épaule, sous deux angles différents, avant de les réunir sous la même caméra dans un face à face plein de désir contenu inaugurant une nouvelle relation entre eux; ou bien dans l'une des dernières scènes (certainement la meilleure) pendant la veillée de Noël, où la tension est transmise dans des détails maniéristes comme l'image du futur assassin apparaissant dans le miroir, sa mèche de cheveux qu'un vent de folie déplace et qu'il recoiffe une fois l'acte maléfique terminé ou le regard plein d'effroi de la mère, devinant l'horreur à venir, qui se tourne vers la belle-mère et lui passe la pensée la traversant, mouvements muets suggérant habilement au spectateur l'événement funeste se préparant.


Film d'une grande subtilité, où l'image et la mise en scène dialoguent avec l'état d'âme des personnages et leur relation, il a l'intelligence de traiter avec un regard nouveau un thème universel – en l'occurrence l'amour passionnel et les tourments qu'il entraîne – ce qui lui permet d'évoluer en marge du temps et de se préserver de sa trop rapide usure.

Marlon_B
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le 31 oct. 2016

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