L'Innocent (L'Innocente) est un beau drame franco-italien réalisé par Luchino Visconti (son dernier... car le maître italien, à la suite d'une attaque cérébrale, dirigea le tournage depuis un fauteuil roulant et à demi-paralysé), coécrit par Suso Cecchi D'Amico, Enrico Medioli d'après le roman de Gabriele D'Annunzio, L'Intrus sur des musiques additionnelles composés par Frédéric Chopin, Wolfgang Amadeus Mozart, Franz Liszt et le Chevalier Von Gluck, de superbes décors créés par Mario Garbuglia (Le Guépard (Il Gattopardo) et une très belle photographie de Pasqualino De Santis (Les Damnés (La Caduta degli dei) qui met en scéne Tullio Hermil (Giancarlo Giannini) est un homme froid, égoïste et psychotique... Marié, vit une relation sulfureuse et tumultueuse avec sa maîtresse, Teresa (Jennifer O'Neill)... Mais son épouse, Giuliana (excellente Laura Antonelli), est au courant, et supporte en silence ces affronts perpétuels, jusqu'au jour où elle rencontre un écrivain à succès : Filippo d'Arborio (Marc Porel)... L'ultime film de Luchino Visconti qui n'a pas eu bonne presse lors de sa présentation au festival de Cannes 1976, soit deux mois après la mort du cinéaste... car la plupart des critiques ne virent dans cette adaptation d'un roman illisible de Gabriele D'Annunzio qu'un mélodrame chichiteux, assimilant son esthétique raffinée à une « vitrine d'antiquaire ». Mais les apparences sont trompeuses : ce film douloureux, hanté par la mort, n'a rien d'académique. La reconstitution luxueuse de l'Italie des années 1900 est marquée par la nostalgie de Visconti pour son enfance aristocratique, comme par son rejet d'une société aux idéaux fourvoyés. Tullio Hermil, qui se venge de son épouse adultère en assassinant le bébé qu'elle a eu d'un jeune écrivain, est l'incarnation de la très haute bourgeoisie italienne qui, deux décennies plus tard, fera le lit du fascisme. Le personnage est caractéristique des héros Viscontiens, persuadés de leur toute-puissance avant de découvrir, trop tard, que leur monde s'effondre et qu'ils n'ont plus prise sur rien : un avatar dégénéré du prince Salina dans Le Guépard en somme, la noblesse d'âme en moins, la cruauté cynique en plus... Le cinéaste rêvait d'Alain Delon pour incarner ce surhomme raté, il dut se contenter du « comique » Giancarlo Giannini, bien meilleur qu'on ne l'a dit dans un rôle glaçant... Quant à Laura Antonelli, cataloguée à l'époque comme une (très) belle plante sans talent, elle est bouleversante et n'a jamais été aussi excellente.