La très grande originalité de L’Institutrice est de rapporter la réalité depuis un regard d’enfant : la caméra se place ainsi au plus près du sol et coupe tout ce qui ne relève pas d’une physionomie de petite taille ; ce faisant, les motivations adultes restent souvent opaques, insondables. Une scène magnifique voit deux garçons jouer dans le toboggan de leur école, scène qui donne l’impression d’avoir été filmée par un camarade de classe tant son mouvement-même épouse la perception (potentielle) d’un élève de cinq ans. Nadav Lapid refuse de regarder le génie brut de Yoav depuis une hauteur globalisante et s’il l’inscrit dans une structure fermée qu’est le cadre, il veille néanmoins à laisser libre cours à ses mouvements, à ses allers-retours dont il tire sa poésie. C’est dire que l’entièreté du long-métrage se construit sur la dialectique du geste artistique et de sa rétention politique, base de la relation entre l’enfant et sa professeure devenue entre-temps son mentor. Moqués lors d’un concours de déclamation, les poèmes représentent la sensibilité accrue d’un être innocent dont la conscience lucide des enjeux et souffrances du monde actuel fait froid dans le dos. Car le petit Yoav est à la fois un jeune de cinq ans et un adulte en puissance, il n’évolue pas dans l’imaginaire enfantin communément partagé par les garçons de son âge. Derrière sa sensibilité se cache alors un réquisitoire féroce contre un pays qui ne se contente pas de tuer l’art dans l’œuf, mais refuse le droit à l’enfance, à la naïveté première, à la rêverie. L’esthétique adoptée par le film est une esthétique du choc où se cristallisent sans cesse des tensions ; l’enchaînement des scènes suit un vaste crescendo dramatique au terme duquel s’installe une incertitude pesante et malsaine. Lapid conduit L’Institutrice dans des zones d’ombre qu’il ne relève par aucune trouée lumineuse un tant soit peu rassurante. En somme, il met en scène le rapt d’un Messie en puissance par une femme qui ignore en partie les raisons de ses actes, qui agit par désespoir de perdre sa mainmise sur la source vive de sensibilité qu’elle envie, qu’elle aimerait faire sienne. Une source qui la nourrit et lui donne une raison de vivre. Une œuvre forte et troublante.