Petite fable fuyante et policée.
Par Louis Blanchot
On a longtemps du mal à comprendre où veut en venir Nadav Lapid, avec cette petite fable fuyante et policée, où un élève de maternelle (Yoav) rend gaga sa maîtresse en lui pondant entre deux châteaux de sable des poèmes sur l’amour et la mélancolie. Ces poèmes concis et capricieux, le chenapan semble du reste moins les créer que s’en faire le relais ; et jamais le mystère ne sera percé sur la nature de ce Minou Drouet archi-précoce. Comme s’il s’agissait, pour celui dont il est difficile de ne pas apprendre qu’il fut lui-même, au même âge que son personnage, l’auteur de ces haïkus fulgurants, de ne surtout pas dévaler la pente autobiographique et explicative de l’anecdote, pour tisser la fiction uniquement du point de vue de L’Institutrice du titre.
Ainsi, durant toute une première partie hésitante et savonneuse, on a beau demeurer curieux face à l’orientation prise par cette étrange relation (entre une femme en butte à la vulgarité de son époque et un chérubin en connexion directe avec le paradis des poètes) on ne peut s’empêcher de rester constamment sur ses gardes. Parce qu’on acquiert rapidement la certitude que le film, quoique raté, dispose d’assez d’adresse pour susciter l’intérêt jusqu’au bout, en attendant de nous jouer son gros coup. C’était déjà le protocole mi-figue mi-raisin du Policier, où se passaient le témoin sans jamais se croiser un groupe d’intervention bas du front et une bande de jeunes révolutionnaires. Deux mondes hermétiques voués à se confronter, mais dont la confrontation finale, au lieu de provoquer la moindre étincelle, au lieu de fournir ne serait-ce que le plus petit éclairage mutuel, était expédiée sans ménagement : une fraction de seconde, une lumière éteinte puis rallumée, juste le temps pour les forces de l’ordre de neutraliser les ravisseurs.
En refusant délibérément la pénétration des points de vue et des idées, Lapid privait la fiction de ses vertus dialectiques ; mais c’était pour mieux s’assurer de faire mouche, avec une conclusion en forme d’impasse qui, on le comprend aujourd’hui, arrangeait bien ses affaires. À ce titre, le gros défaut de L’Institutrice n’est pas tant de n’être jamais à la hauteur des attentes qu'il suscite après ce premier film, mais plutôt d’en creuser rétroactivement toutes les failles. Il suffit de constater comment la frontalité crue et cinglante du Policier se transforme ici en un regard sur-conscient et ostensiblement appuyé, une rétention sophistiquée propre à créer une tension complètement artificielle. La caméra de Lapid met moins en scène qu’elle ne scrute, traque, gratte. Autoritaire, chirurgicale, panotant tous azimuts à la façon d’une toupie, elle scénographie l’espace comme si s’agitait déjà sous chaque plan, prête à bondir, la grande leçon universelle de pessimisme.
Car comme dans Le Policier, il s’agit avant tout de sonder la violence larvée de la société israélienne. Une ambition qui, pour être captivante, ne se dilue pas moins trop souvent dans les maladresses narratives, le vouloir dire et les pointes de provoc raplapla. Faute d’être en mesure de détraquer dans un même vertige les différentes lignes de son récit, L’Institutrice finit par se recroqueviller derrière de petits règlements de compte ciblés — sur la télévision, la famille, l’armée, le milieu de la littérature israélienne — suite de procès-verbaux qui, en plus de s’avérer toujours en deçà de l’ambiguïté dramatique escomptée, font montre de considérations complètement désuètes sur la place de l’art dans la société. (...)
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