[Remarques générales. Je n'ai pas envie de juger et noter des films que je n'ai vus qu'une fois, souvent avec peu de connaissance du contexte de production. Je note donc 5 par défaut, et 10 ou 1 en cas de coup de cœur ou si le film m'a particulièrement énervé. Ma « critique » liste et analyse plutôt les éléments qui m'ont (dé)plu, interpellé, fait réfléchir, ému, etc. Attention, tout ceci sans égard pour les spoilers !]
Breaking news Une étude scientifique récente montre que les éponges sont capables de communiquer avec la vaisselle. Il a en effet été montré que de l'eau était transférée de l'une vers l'autre, et réciproquement.
Breaking news Les cheveux crépus auraient une intelligence. En effet, des recherches suggèrent que les cheveux crépus sont emmêlés, formant un vaste réseau dont la structure est comparable à Internet et aux neurones d'un cerveau humain.
Ces exemples sont volontairement exagérés, et le scientisme de L'intelligence des arbres ne les égale tout de même pas (sauf de temps en temps). Il y a du vrai, et puis il y a des moments où la science glisse des mains du film. Totalement. Et je retiens beaucoup plus mon énervement face à ces séquences que les quelques éléments que j'ai appris, pourtant intéressants.
Et L'intelligence des arbres confirme un critère que j'avais établi pour ce genre de « documentaires » : si on entend le mot « Fibonacci », changer de chaîne (ou de salle).
Le film est en réalité constitué de deux documentaires qui se suivent, chacun d'environ trois quarts d'heure, Les trésors cachés des plantes et L'intelligence des arbres.
Petit exposé pour les éventuel.le.s lecteur.rice.s de cette critique qui ne seraient pas familiers de la suite de Fibonacci. C'est une suite de nombres ; les deux premiers nombres sont des 1 ; on obtient à chaque fois le nombre suivant en additionnant les deux précédents. La suite ressemble donc à 1, 1, 2 (1+1), 3 (1+2), 5 (2+3), 8 (3+5), 13, 21, 34, 55, etc. Elle a un certain nombre de propriétés intéressantes, notamment le fait que le rapport de deux nombres successifs de la suite s'approche du nombre d'or. (Et le nombre d'or, c'est juste un nombre, auquel on a donné un nom joli certes, mais qui ne cache pas grand-chose de mystique.) On trouve des choses liées à la suite de Fibonacci à plusieurs endroits dans la nature. Pourquoi ? Parce qu'additionner deux nombres, c'est SUPER SIMPLE comme principe. Et donc, Fibonacci apparaît dans la nature parce qu'un certain nombre d'organismes font intervenir ce principe super simple. Si on vous parle de Fibonacci pour vous faire croire à une grande intelligence cosmique, au fait que des Martiens ont construit les pyramides d'Égypte, ou que les plantes possèdent une intelligence collective développée, faites machine arrière.
Autre tuyau : tout discours qui fait apparaître le nombre d'or, ou n'importe quel nombre, n'importe quelle constante physique, a une forte probabilité d'être du scientisme creux. Avec un peu d'astuce, on peut trouver plein de nombres célèbres et de constantes physiques en manipulant d'importe quel ensemble de nombres, même si ces nombres sont vos mensurations et les masses de nutriments sur votre paquet de céréales. (Vous conviendrez que ce n'est pas parce que Dieu ou les extraterrestres vous ont conçu.e en harmonie avec ce paquet de céréales.)
Le premier film, Les trésors cachés des plantes est celui qui parle de Fibonacci. C'est le pire. (Le second a ses défauts mais sauve la séance.) Il est constitué d'un assemblage d'interventions, parfois appuyées de schémas simples. L'intervenant le plus régulier est un chercheur de l'université Paris Diderot, qui semble très bien connaître son sujet, prend toutes les précautions verbales nécessaires, et s'efforce avec sincérité et enthousiasme de parler de ses sujets de recherche. Ses collègues doivent se moquer de lui, car le discours des autres intervenants va du banal au mystique, avec parfois une absence totale de logique, des confusions lexicales terribles, de l'anthropomorphisme à gogo. La séquence la plus difficile à regarder à été celle où une « chanteuse et énergéticienne » explique comment elle parle avec les plantes aromatiques de son coin de jardin. Si elle y croit, tant mieux, mais c'est ridicule et donc absolument humiliant pour cette personne de la projeter ainsi. Et donc, son intervention et d'autres forment un message globalement mystique sur les plantes, en capitalisant sur le sérieux et l'autorité du scientifique. Le principal procédé pour dissimuler la fragilité du contenu est d'orchestrer un bombardement de mots techniques sans les expliquer (voire en les affichant à l'écran en plus du discours, toujours sans explication !).
La seconde partie, qui donne son titre au film, est un film allemand basé sur un best-seller. En l'occurrence, tou.te.s les intervenant.e.s ont de la légitimité à s'exprimer sur le sujet. C'est là qu'on en apprend le plus. Et ce qu'on apprend, c'est que la vision traditionnelle des plantes comme somme d'individus a des limites que nous sommes en train de découvrir, et qu'il serait plus pertinent d'étudier la forêt comme un écosystème, un sur-organisme à l'intérieur duquel les différentes plantes s'organisent et échangent (des nutriments, pas des dissertations sur L'Odyssée) plutôt que de se livrer concurrence. Il y a plus d'infographies et d'animations un peu cliché (des ondes, des cerveaux...). Le problème de cette partie est qu'il faut là encore un sens critique développé pour retirer ces informations intéressantes, parce que l'équipe du film semble elle-même en manquer (ou être cynique, mais je ne vois pas pourquoi ici). Les discours flirtent régulièrement avec l'anthropomorphisme (« communication », « arbres mères », etc.) ; et si les intervenant.e.s montrent généralement une conscience réflexive du fait qu'ils utilisent là des métaphores, le film met trop en avant celles-ci, qui semblent devenir le discours scientifique. Le manque de discernement se voit en particulier à travers le choix des séquences montées, un pèle-mêle de résultats, théories, conjectures à des niveaux très variés, d'extrapolations, d'expériences, de technique et de vulgarisation... (Ainsi, une séquence montre le protocole expérimental d'une partie, qui n'a rien d'exceptionnel si ce n'est peut-être d'être vaguement spectaculaire, de travaux menés sur les échanges de molécules entre arbres voisins - cela ne raconte rien et embrouille le propos.)
Malheureusement, que ce film existe et existe ainsi n'est pas très surprenant. Le sujet est au fond passionnant (le chercheur du premier film le montre bien), mais n'a sans doute pas assez de sensationnel pour vendre. Et encore, qui le dit ? Et si le public était bien assez intelligent pour mesurer l'intérêt de ces travaux, présentés dans un documentaire bien construit, si on le sous-estimait ou privilégiait une facilité insultante en préférant l'attirer avec une soupe mystique sensationnaliste ?
Car finalement, je trouve ce film insultant pour le public - dans un sens général. L'équipe du film n'est pas forcément cynique comme celle d'un La révélation des pyramides : je ne vois pas à qui le crime profiterait, il n'y a pas de secte à laquelle adhérer. Ce sont les circuits de distribution qui sont insultant, en choisissant de diffuser ce film semaine après semaine, et quand UGC le sélectionne parmi les meilleurs films de l'année à revoir la semaine prochaine. S'il n'y a personne chez UGC avec le minimum de jugement scientifique pour ne pas diffuser un tel prétendu-documentaire, c'est très inquiétant ; s'il y a, c'est cynique et très insultant.