Après l’échec de l’Aurore, Murnau doit revoir ses ambitions à la baisse, et si City Girl est un film modeste, il n’en explore pas moins les mêmes thématiques que son illustre prédécesseur.
L’opposition entre la ville et la campagne est ici déplacée sur les origines opposées d’un couple en apprentissage. Naïf fils de paysan venu faire quelques affaires dans la cité, le protagoniste (Charles Farrell, grande figure du muet qu’on retrouvera dans tous les grands Borzage)y tombe sous le charme d’une serveuse lassée de sa vie laborieuse et la ramène en tant qu’épouse dans ses contrées agricoles.
La première partie, entièrement fondée sur le point de vue des personnages, donne à voir un décor ambivalent, fonctionnant sur le contrepoint : l’automatisation de la modernité (la trancheuse à pain, par exemple, opposée à la manière dont le père rompt à la main) vécu comme une aliénation par la demoiselle, et la profusion vue comme un émerveillement, notamment dans cette superbe vue sur le métro aérien depuis sa chambre d’hôtel.
La mobilité propre à Murnau est toujours de mise : zoom arrière, travelling dans les champs, rapprochement sur les comédiens pour en tirer de beaux portraits jalonnent le récit, qui se renouvelle en revanche dans une ambition plus documentaire sur la vie quotidienne des paysans, notamment dans les moissons.
L’autre intérêt réside dans la résistance de Murnau à passer au parlant, en dépit des pressions de la production : les intertitres se multiplient, alors qu’il est clair que l’image, toujours aussi maitrisée, se suffit à elle-même.
La seconde partie procède par chocs culturels, confrontant la citadine à la famille, et notamment un père rustre plus que méfiant à son égard. Sorte de prémices aux Moissons du Ciel, dans de très belles séquences nocturne ou de tempêtes sur les champs, le récit met en place un décor propice à exacerber les passions humaines, entre la bru humiliée et le fils passif n’osant défier l’autorité parentale, contraint à une émancipation qui se fera dans la douleur. La tournure prise par les événements est un peu excessive (tout comme l’est le jeu de Mary Duncan, très gestuel et théâtral) et le dénouement un brin forcé ; mais ce qui reste avec Murnau, comme toujours, transcende, et de loin, le récit : un champ, un visage, une embrasure suffisent chez lui à chanter la mélodie universelle des émotions humaines.
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