L'Invasion des profanateurs par Sophia
Quand on parle d’invasion extraterrestre, il y a forcément une thématique de la paranoïa assez forte, que ça soit dans The Thing, le huit clos terrifiant de John Carpenter ou bien dans les multiples adaptations du roman américain de Jack Finney de 1955. La terreur est bien la thématique choisie, plutôt que la critique de la société, bien que le choix de la ville San Francisco à une époque où les 30 glorieuses et leur paix paisible prenait fin d’une manière plutôt violente, l’assassinat de Harvey Milk avait eu lieu cette année là, il s’agit non pas d’une critique subversive mais plutôt d’un constat d’une angoisse omniprésente qui se distille dans le quotidien, une angoisse difficile à percevoir. Le début du film laisse planer une menace impossible à qualifier, impossible à prouver, invisible, ténue, ce sont de maigre changement, d’infimes indices qui font passer l’héroïne pour une folle quand elle affirme que son petit copain est bizarre, au point que le héros lui suggère de parler à son ami psychiatre.
La mise en scène en elle-même place ce choix, elle est manifestement celle d’un film d’horreur, les contre plongées, les visages éclairés d’un rayon lumineux dont la source vient d’en bas, l’apparition de Donald Sutherland dans le placard en est l’exemple même. Tous les codes du films d’horreur sont là, pas trop affirmés mais suffisamment pour exprimer pleinement l’horreur angoissante qui se propage au fil du film. La menace peut perceptible le devient de plus en plus, et le héros quand il en prend conscience, fait aussitôt appel à la justice, utilise ses relations, tente de parvenir à régler tout cela, s’estimant en être capable, c’est pour lui un jeu d’enfant et il ne saurait en être autrement. Le visage du héros n’est pas lisse, bien au contraire, il est tout en relief. C’est un homme d’action qui a besoin d’agir et de s’affirmer, qui prend les décisions même si elles ne sont pas toujours les bonnes. Il fait ainsi appel à tous ses amis pour régler la question, et par là même tombe dans le piège car aussi bien les autorités que son ami psychiatre sont déjà corrompu par l’ennemi envahisseur, et bientôt, la paranoïa se distille dans une excellence séquence qui confine à la folie avec cet enchaînement de plan très cut du héros courant partout dans la rue, se retournant à chaque instant, et les voix lancinantes des autorités disant de ne pas agiter la foule, de ne pas créer un effet de terreur, de rester calme, de ne pas agir.
C’est là le cœur d’action des envahisseurs, de proposer une société paisible où il n’y a nulle agitation, nulle haine mais aussi nul amour, une société dénuée de sentiment où les êtres humains sont remplacés par des coques vides et sans véritable essence, des erzats en somme. Rapidement prit pour cible, nos fugitifs courent dans les rues d’un San Fransisco transformé, la nouvelle organisation des envahisseurs s’affichant désormais partout donne l’impression d’un état de guerre ou de siège, tout le monde obéit à la voix dans le haut parleur, jusqu’à la serre d’élevage qu’on découvre, un monde donc où l’horreur est mécanique, presque industrielle. Ce qui le rend véritablement puissant est cet aspect très présent qui en même temps n’efface pas l’autre aspect, celui plus organique des envahisseurs et le cri affreux qu’ils poussent quand ils détectent un humain. Ce cri ignoble est véritablement glaçant d’autant qu’il s’accompagne d’un geste de délation très simple. De là à repenser à une autre délation, une autre époque plus sombre de notre histoire, où l’envahisseur éliminait ceux qui ne se conformait pas à sa vision du monde, il n’y a qu’un pas que je franchis, oui j’y ai pensé, au Nazisme en voyant certaines séquences. Mais la plus horrifique reste ceci dit l’image du chien avec une tête humaine, vision affreuse d’autant que la musique est joyeuse et que absolument rien ne nous y prépare, c’est l’enfer et la folie tout simplement.
Au fond, il est dans la même lignée qu’un The Thing, l’horreur indicible dépeinte est invincible, trop puissante, elle a déjà gagnée avant même que le combat de s’engage, il ne s’agit dont pas de la peinture d’une menace sociale mais plutôt d’un voile levé par Philip Kaufman sur une société qui a déjà changé, et qu’il ne reconnaît plus. 1978 est une année sombre où les assassinats se multiplient, la crise pétrolière a déjà amorcée une chute du système actuel, le film dépeint au fond ce qui va se passer dans les années à venir jusqu’à aujourd’hui.