Le mélo - exercice d’équilibriste entre la mièvrerie et l’émotion à son paroxysme, a ses virtuoses, au premier rang desquels on trouvera Borzage, d’autant plus passionnant qu’il exerce dans le registre encore plus risqué du cinéma muet. Alors que les comédiens y sont généralement outranciers pour palier leur absence de langage, ou en héritage direct avec expressionnisme des comédiens de théâtre, le premier point qui frappe ici est la qualité, la délicatesse de l’interprétation.
Le couple mythique Charles Farrell/Janet Gaynor, déjà magnifié par le cinéaste dans L’heure suprême et L’ange de la rue rivalise de modestie dans cette fable. Lui, vétéran de guerre cloué à son fauteuil roulant, elle, petite sauvageonne difficile à apprivoiser, se retrouvent dans une demeure isolée dans les bois. L’exposition des lieux est absolument magnifique et justifie à elle seule qu’on s’attarde sur le talent des chefs opérateurs durant cet âge d’or primitif du cinéma. Les clairs obscurs, l’épaisseur des lieux (la forêt, le toit de chaume, les boiseries) sont sculptés dans une lumière aux contrastes saisissants.
Borzage l’a bien compris, ce n’est pas nécessairement dans l’emphase que se joue l’émotion. La maladresse qui caractérise les deux personnages est le vecteur par lequel on va toucher le spectateur, de même que leurs débuts fondés sur un déséquilibre : lui paternaliste, qui civilise la paysanne, et elle, enfantine, qui lui donne une raison de continuer à vivre alors qu’il se sent inutile au monde.
Pour les besoins du récit, quelques éléments extérieurs et susceptibles de ménager des obstacles surviennent. On sent la convention poindre, mais elle permet de petites trouvailles qui ajoutent à la délicatesse du propos : l’arrivée du tourne disque, ou la table déplacée sur le seuil de la maison pour permettre à la fille à qui on a interdit l’entrée de partager son repas avec l’être aimé.
Tout fonctionne par le prisme des regards, ces relais d’une parole qu’on doit raréfier puisqu’elle passe par la rupture des intertitres : les nombreuses scènes de départ et de retrouvailles disent avec un charme irrépressible la naissance muette du sentiment amoureux, et accompagne la métamorphose d’une jeune fille en femme épanouie. A ce mutisme répond l’autre sublimation, plus fine encore, du mouvement : l’homme qui ne peut danser, la jeune fille qui ne devrait plus aller le voir créent ainsi un couple dont la chorégraphie tient dans un sourire, et que nul rival ne pourra contrer.
La modestie de cette unité de lieu, de cette réduction radicale du nombre de personnage, est ainsi garante de la sincérité la plus pure du couple.
Le miracle final écorne certes un peu ce beau parti-pris, mais il est faut davantage le considérer comme l’occasion de nouvelles très belles images (la tempête de neige, une silhouette de sauveur se détachant sur la crête) que l’avènement réel du récit : car la grandeur de cet amour était déjà démontrée dès les premiers plans de cette histoire aussi universelle que touchante.