Le commandant Cousteau : un homme ambigu.

Jacques-Yves Cousteau est devenu marin par défaut. En réalité, il rêvait d’être pilote d’avion mais un accident de la route ayant mis à bas ses projets, il devient marin. Avec son ami Émile Gagnan, passionné comme lui de plongée sous-marine, il met au point le détendeur qui améliorera le principe du scaphandre autonome. Le 12 juillet 1937, il épouse Simone Melchior, fille d'un ancien contre-amiral de la Marine nationale et cadre d'Air liquide, avec qui il a deux enfants : Jean-Michel en 1938 et Philippe en 1940. Son invention du détendeur lui permet d’acheter une maison en bord de mer à Bandol où il pourra assouvir sa passion de la plongée et la communiquer à ses fils (Philippe a 4 ans lorsqu’il fait sa 1ère plongée). En 1949, Jacques-Yves Cousteau quitte la Marine pour réaliser un projet fou : équiper un bateau d’exploration sous-marine. En 1950, il convainc un riche britannique, Lord Thomas Loël Guiness, de lui louer, pour 1 franc symbolique, un vieux rafiot pratiquement hors d’état de naviguer: c’est ce bateau qui deviendra la fameuse Calypso. En contrepartie, Cousteau s’engage à le rafistoler à ses frais. Comme il a donné sa démission de la marine et qu’il n’a pas un sou vaillant, c’est sa femme, Simone, qui financera les travaux en vendant ses bijoux. Une petite équipe de plongeurs est recrutée, parmi lesquels Albert Falco (dit Bébert). La première expédition est financée par le pétrolier BP. En contrepartie du carburant fourni gratuitement, Cousteau doit réaliser des recherches pétrolières dans le Golfe Persique. On est alors très loin du Cousteau défenseur des océans qui ne se révèlera que beaucoup plus tard.


Ses deux fils, Philippe et Jean-Michel, sont alors envoyés en pension, ce que Philippe, en particulier, vivra très mal... Quelques années plus tard, ayant terminé ses études et alors qu’il est déjà un homme, Philippe rejoint l'équipe de son père et devient le photographe attitré des films documentaires sous-marins de son père jusqu’à ce qu’il se rende compte que ce dernier est plus préoccupé par sa personne et sa carrière que par la protection de la nature qu’il prétend défendre. Il supporte en outre très mal qu’il trompe ouvertement sa femme à qui il doit pourtant tout. Philippe se fâche alors avec son père et crée sa propre agence de photographie sous-marine.


Dans les années 70, l’ambition démesurée et les projets pharaoniques de Jacques-Yves Cousteau entraînent la quasi-faillite de ses entreprises. En 1975, il se lance dans l’opération de la dernière chance en mettant sur pied une campagne en Antarctique contre l’avis de tous les experts car la Calypso n’est pas un navire apte à naviguer dans des conditions aussi extrêmes. C’est à ce moment-là que Philippe rejoint l’expédition et sensibilise son père à la protection des océans et des espèces animales menacées, donnant à la carrière de son père une nouvelle impulsion et une nouvelle notoriété.


Mais, le 28 juin 1979, lors d'une mission de la Calypso au Portugal, Philippe se tue dans des circonstances particulièrement terribles aux commandes de l’hydravion qu’il pilotait. Cousteau en est profondément affecté. Il appelle par la suite son fils aîné, Jean-Michel, qu’il avait toujours plus ou moins méprisé, à ses côtés.


Le film commence et se termine sur cette scène de l’accident où Philippe, jeune papa d’une petite fille nommée Alexandra, laissera la vie.


Mon opinion sur ce film


Avant toute chose et quels que soient les mérites ou les critiques que l’on peut faire au film lui-même, à son scénario et à sa mise en scène, on ne peut que saluer l’extraordinaire prestation de Lambert Wilson qui campe un commandant Cousteau d’un mimétisme ahurissant. A travers le portait que fait Jérôme Salle, du commandant Cousteau, on découvre un homme très différent de l’image qu’il avait patiemment construite de lui au cours de sa carrière. Un homme complexe, avec des zones d’ombre dont on ne se doutait pas : égoïste, ou plus exactement égocentrique, affairiste, menant une vie de famille chaotique, avant de s’humaniser tardivement sous l’influence de son fils cadet, Philippe, joué avec talent par le toujours formidable Pierre Niney. Encore le film fait-il l’impasse sur quelques zones encore moins reluisantes de sa vie. Simone, son épouse d’abord aimée puis bafouée et aigrie, est aussi admirablement incarnée par Audrey Tautou que l’on n’aurait pas attendue dans un tel rôle. Toujours en ce qui concerne les acteurs, je voudrais saluer la prestation du jeune Ulysse Stein, qui joue le rôle de Philippe enfant.


Que dire du film lui-même ? Qu’il n’est pas, comme on aurait pu le craindre, qu'un biopic sans nuances à la gloire exclusive du commandant Cousteau car il nous montre un homme aux multiples facettes, loin des clichés que nous avons de lui. Il nous révèle surtout ses relations difficiles avec les siens, ses deux fils, sa femme… Le film reste cependant un film d’aventure, avec de belles images bien qu’il y ait moins de scènes sous-marines que ce à quoi on aurait pu s’attendre, la lutte presque perdue de la Calypso contre les déchaînements de l’océan antarctique, l’émotion lorsque, grâce à Philippe, Cousteau prend conscience des dévastations que l’homme a imposé à la nature…


Film intéressant, salutaire, à voir en tout cas, ne serait-ce que pour chasser définitivement de nos esprits l’image trop parfaite du héros de notre enfance. A voir aussi et surtout pour l’époustouflant jeu d’acteur de Lambert Wilson et de sa relation d’amour-haine avec Pierre Niney, excellent lui aussi.

Roland Comte

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