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Des mots de Piscine Molitor Patel, notre héros, “le propos de la fiction, [c’est] la transformation sélective de la réalité. Sa distorsion pour en extraire l’essence”. Une citation issue du roman du canadien Yann Martel qui résume bien la teneur du film. Life of Pi est un conte philosophique qui utilise l’humour et la poésie pour transcender l’horreur d’un récit qui brasse le fond de l’humain.
La mise en abyme de la narration, l’histoire centrale étant relatée quelques décennies plus tard par Pi à un auteur en panne d’inspiration (représentant Martel qui est allé chercher la sienne en Inde), permet la lente dérive dans le fantastique. Si l’on peut tenter initialement de rationaliser ce qui nous est montré, comme le fait l’écrivain, on en vient vite à lâcher prise pour se laisser porter par la poésie. Une approche qui soulève la question de comment regarder le monde. Choisit-on une approche cartésienne comme celle du père, quitte à étouffer toute émotion dans notre appréhension des événements? Se réfère-t-on à une mythologie, qu’elle soit celle d’une (ou plusieurs) religion établie, ou celle d’un parcours de vie qui d’un point de vue extérieur peut sembler étrange, mais donne à la quête des piscines du monde de l’oncle Mamaji une fonction de ligne directrice? Ou encore mêle-t-on les deux pour ne pas sombrer dans le désespoir le plus profond, comme Pi le fait?
Ang Lee livre une œuvre aussi belle qu’elle est fondamentalement noire. L’histoire d’un doux rêveur innocent, qui se refuse à manger de la viande par acte de conscience, mais qui va finalement devoir tuer un homme pour survivre, trahissant ses préceptes par la contrainte et commettant l’irréparable. Un jeune homme qui perd sa famille, et tout ce qu’il a connu dans une tragédie. Mais Pi transfigure le réel et devient un tigre dans la tourmente, une force intérieure avec laquelle il doit apprendre à cohabiter pour dépasser des obstacles autrement insurmontables. Le doute de soi, de ses croyances, se fait force et faiblesse.
Pi: So which story do you prefer? Writer: The one with the tiger. That's the better story. Pi: Thank you. And so it goes with God.
Une belle leçon de positivité qui marche d’autant mieux que le travail visuel des studios R&H est époustouflant malgré les progrès techniques de ces douze dernières années. Les transitions sont inventives, les animaux convaincants d’émotion, les plongées oniriques dans l’esprit de Pi parfaitement dosées, et les délires mortifères de l’abandon parlant.
La subversion de la noirceur humaine en une fable sur l’importance du relativisme et du prisme d’interprétation, voilà ce que propose Ang Lee dans ce kaléidoscope sublime, qui a même le bon goût d’utiliser Depardieu dans un rôle d’ogre infâme à sa mesure.