Alors c'est sûr la bande annonce était visuellement prometteuse, et pouvait laisser présager une expérience de laquelle on ne sort pas indemne, au moins pour le protagoniste principal, et au minimum pour le spectateur un voyage agréablement rêveur.
On n'est pas passé loin. Le préambule fait bien son travail et nous rend sympathique le jeune "Piscine", passage indispensable pour adhérer à la suite du récit, pour frémir et vibrer pour son héros.
Le propos présenté à travers la quête spirituelle et religieuse de Pi est lui aussi attrayant et d'une grande ouverture d'esprit.
L'odyssée en elle même est assez réussie, visuellement d'abord, même si attention à l'overdose ! et la mise en scène nous livre de superbes scènes de naufrage et de tempête avec pour seule musique le rugissement des vagues, ponctué de silences sous marins. Les plans sous marins puisqu'on en parle sont souvent magnifiques et d'une impressionnante profondeur, la taille de l'écran et la 3D aidant. (Qui eut cru que je dise un jour du bien de la 3D ?)
Mais alors pourquoi suis-je sorti de la salle avec le goût amer d'avoir assisté à un spectacle vain et non abouti au lieu du goût iodé de la tasse que j'aurais dû boire avec Pi si l'histoire m'avait entièrement embarqué ?
Je miserais d'abord sur la redondance des scènes genre "bateau seul perdu sur un fond étoilé, ou sur un fond de méduses phosphorescentes, bateau perdu entre ciel et mer qui ne font plus qu'un..." oui bon d'accord c'est beau...et heu...on avance dans l'intrigue un peu sinon ?
Il y aussi autre chose avec ces scènes féériques. On sent que Ang Lee veut nous laisser entre réalité et rêve, sans que l'on puisse trancher de façon certaine si l'on a basculé ou pas dans le conte. C'est sur le papier souvent une très bonne idée, le doute... mais bizarrement cette expérience s'est ici révélée pour moi, et je concède tomber là dans une critique encore plus subjective que le reste, plus dérangeant qu'autre chose dans le sens où je me suis plusieurs fois posé la question "mais c'est possible ça ? m'enfin ça existe ou pas des méduses phosphorescentes ?" ce qui m'a passablement détaché du récit à ces moments là.
Ensuite, et c'est là un point important : le personnage de trop ! Le personnage de l'écrivain est malheureusement placé là dans l'unique but d'offrir un dialogue (souvent bateau et mal écrit) avec le héros donnant la clé de la métaphore du film, difficilement compréhensible sans cela. Cet écrivain est la personnification du manque dans le scénario de la finition et de la perfection qui permettraient d'éviter d'en arriver à un tel rouage, aussi discret qu'un jet de sang chez tarantino.
Pour finir, il a quelque chose de très décevant dans la "morale" du film, l'élucidation de LA question posée dans l'introduction telle le fil rouge irrésistible du récit, maladroitement accouchée lors d'un dialogue avec l'écrivain, et pourtant creuse et inutile. A peine compréhensible en vérité, et réglée si rapidement que heu...tout ça pour ça ? bon, ok, tant pis...
En résumé, un beau spectacle, un joli conte, handicapé toutefois par quelques lourdeurs scénaristiques et une morale baclée et incompréhensible. C'est juste dommage...heureusement que ça reste agréable pour les yeux.