L’Odyssée : un voyage au long cours, éprouvant, semé d’embuches qui sans relâche entament votre bonne volonté, votre espoir et anéantissent progressivement vos résolutions initiales. Ce fut le cas pour Pi, ce fut le cas pour moi.
Rude épreuve, qui m’a pris d’assaut de toute part et nécessite un grand recul pour que ma prose ne paraisse ni condescendante, ni agressive. Face à une parabole sur la sagesse, la foi et les vertus du récit, il serait tout de même assez fâcheux de se dresser en intolérant primaire.
L’Odyssée de Pi commence plutôt bien, alors qu’on pourrait fustiger ces 35 minutes d’introduction qui semblent là pour planter un décorum pop et bubble gum, du zoo de synthèse aux effets iconiques, mention spéciale pour la nage dans le bassin Molitor sur fond de ciel. Fort de cette tendance des 10 dernières années à vouloir un peu tout mélanger pour contenter la planète, ce maelström façon Cloud Atlas ou Mr. Nobody n’est pas dénué de charme. Mais le film subit les mêmes dérives que ses pairs : une débauche d’effets toujours plus grandiloquents qui nuisent considérablement à l’émotion que cherche à véhiculer le film. Certes, je ne l’ai vu ni en salle, ni en 3D, et la maitrise est indéniable, la technologie à la pointe, mais c’est tout de même gênant de nous voir vendre mère nature comme un fond d’écran photoshopé façon Walter Mitty quand le modèle originel a déjà été si bien traité dans l’histoire du 7ème art…
Dans son escalade vers le baroque visionnaire, rien ne nous est épargné, et il faut une sacrée tolérance pour en sortir sans une nausée davantage due à l’excès de couleur qu’à la houle.
Passons sur la forme, et ne nous éternisons pas sur le fond. J’essaie tant bien que mal de ne pas devenir un fanatique épidermique à l’endroit des fables cherchant à me convertir. La malice pernicieuse de notre Candide local consistant à se vouer à toutes les religions, on croit passer savamment entre les gouttes. M’annoncer à plusieurs reprises que l’histoire à venir va me faire croire en Dieu n’est pas la plus efficace des captatio benevolentiae, mais passons.
[Spoils]
La nature comme reflet du panthéisme et l’émerveillement face à sa prolixe beauté, ses dangers et son infini ont déjà fait l’objet de traitements autrement plus convaincants, chez Tarkovski, Kurosawa ou dans une moindre mesure, Malick.
Mais ce twist narratif consistant à nous faire comprendre que choisir la plus belle des histoires, à savoir la fable, par rapport au réel sordide (la définition du sordide, étant, on l’aura noté, incarné par une hyène ou… Gérard Depardieu, mais qu’allait-il faire dans ce bateau ?!) est l’équivalence de la foi m’a laissé tout bonnement sans voix.
Après ça, d’accord, je gobe les îles carnivores et les tigres numériques, les baleines phosphorescentes et les plats végétariens.
C’est toujours la même histoire : en se proclamant ostensiblement universaliste, cette parabole manque en ce qui me concerne toutes ses cibles : son œcuménisme, art de la synthèse du mysticisme et de celle des images, déverse un flot vaste comme l’océan, mais dépourvu de la matière qu’on était censé y trouver dans ses abymes : l’âme.