Adaptée du roman Ciencias Morales (Sciences Morales) de Martín Kohan, ayant reçu 4 nominations lors de la Quinzaine des Réalisateurs, et s'attaquant au dur sujet de la dictature et de la subversion, L'œil invisible était une œuvre attendue avec impatience, et immanquable.
Buenos Aires, mars 1982. Dans les rues de la capitale argentine, la dictature militaire est contestée. María Teresa (Julieta Zylberberg) est surveillante au Lycée National de Buenos Aires, l'école qui forme les futures classes dirigeantes du pays. Elle a 23 ans et veut bien faire. M. Biasutto (Omar Núñez), le surveillant en chef, décèle tout de suite en elle l'employée zélée qu'il attendait et lui apprend à être l'œil qui voit tout, mais qui échappe aux regards des autres : l'œil invisible.
María Teresa se lance alors dans une surveillance acharnée de ce petit monde clos, imaginant, décelant, traquant...

De prime abord, on pourrait s'attendre à une resucée du Cercle des Poètes Disparus, le contexte étant propice, mais l'on s'en écarte très vite. Dès les premières minutes le mot est lâché, la « subversion ». Tout comme un despote, le surveillant principal commande ses troupes d'une main de fer, et veut lutter contre toutes formes de subversion. María Teresa, sa « lieutenante », est son courroux, mais comme dans toute hiérarchie militaire ou non, des maillons peuvent être faibles, ou forts, suivant la façon dont on l'interprète. Tout juste adulte, vierge, elle cache derrière une façade austère tout un lot de frustrations, et comme toute personne subitement puissante, elle tentera de les combler. Métaphore de l'état militaire et despotique dans lequel était plongée l'Argentine, ce lycée tient lieu de microcosme pour mieux appréhender les événements extérieurs, le contexte étant similaire, mais simplifié. Incroyablement froide, et en apparence feutrée, l'oeuvre agit sans cesse tel un œil invisible, nous montrant les moindres moments d'intimités, allant même jusqu'au voyeurisme, afin de ne rien cacher au spectateur et révéler les non-dits.
Le réalisateur et scénariste, Diego Lerman, nous laisse également entrevoir une certaine lassitude de cette population, au travers de multiples effets de répétitions, dont notamment chaque trajets en bus que fera notre héroïne pour rentrer chez elle, rythmés par ses limages d'ongles, et en profitera par la même occasion pour utiliser le revolver de Chekhov.

Bref, L'œil invisible est une oeuvre intéressante, à demi-muette, les actes de chacun étant filmés de façon subtile, nous faisant ressentir cette pression que peuvent ressentir ces intervenants, aptes à la délation, tout comme leurs supérieurs, terrorisés par une paranoïa constante. A chaque étage quelqu'un est un œil invisible, et la moindre tolérance envers une infraction pourra être perçue comme une marque de subversion par celui qui est au-dessus de vous, tel une épée de Damoclès — concept applicable pas seulement à l'Argentine, mais aussi à toutes les formes de despotisme qui ont eu, ou peuvent avoir lieu.
On notera également que le choix d'une femme en tant que personnage principal n'ait certainement pas été anodin, les conditions sociales d'un pays se reflétant souvent bien mieux au travers de la place qui est laissé aux femmes.
D'un point de vue technique il n'y a rien non plus à reprocher, la photo étant dans le ton, utilisant une dominante de couleurs froides, et l'on saluera les interprétations de qualité qui nous sont servies par le duo Osmar Núñez et Julieta Zylberberg.
Pour conclure, les amateurs de descriptions de sociétés sous formes de métaphores trouveront un certain plaisir à comprendre un peu mieux l'Argentine de cette époque. Néanmoins, de par son approche particulière, maussade et austère, il y a fort à parier que bon nombre de personnes ne se montreront que peu réceptive.
Mention spéciale pour Julieta Zylberberg, semblant être taillée pour ce rôle, au faciès triste et virginal, incarnant parfaitement le visage de cette Argentine malade.
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le 10 mai 2011

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