N'étant personnellement pas encore totalement convaincu par Mamoru Oshii - ses deux Ghost in The Shell ne m'ont pas ébloui - je n'attendais pas grand-chose de son premier film. Cependant, ce pitch si attirant m'a donné envie, et bien m'en a pris. En effet, alors que le manque de clarté de son dyptique sur les robots m'avait un peu rebuté (à revoir, cependant), j'ai totalement plongé dans L'Œuf de l'Ange.
Premièrement, c'est un film qui a plus de 30 ans, il faut le rappeler. Non seulement parce que l'influence des 80' se fait ressentir, mais surtout parce qu'il n'a pas vieilli. Evidemment, l'animation n'est pas celle du Vent se Lève par exemple, mais sa beauté primaire est pleine de charme. Les expressions des deux personnages principaux sont assez peu développées, mais le besoin ne se fait pas ressentir. C'est surtout l'ambiance du film qui est importante. Oshii a réussi un coup de maître en faisant un film animé presque totalement dénué de dialogues - à part notamment un moment de récitation de la bible! C'est justement cette absence de mots qui nous permet de nous concentrer sur autre chose.
Bien sûr, la musique (enivrante) y joue pour beaucoup, nous permettant de plonger encore plus profondément dans cette ville futuriste fantôme, où des soldats cherchent à tuer des ombres de poissons sur les bâtiments... Quel courage que de ne pas chercher à faire un film schématique! Le cinéaste japonais nous fait pénétrer des contrées inconnues où les perceptions et sentiments sont nouveaux, car se basant sur des effets magnifiquement originaux. C'est ici les symboles qui comptent, que l'on en voit ou pas. Car on peut bien élaborer des théories sur ce fameux oeuf que la petite fille cherche à tout prix à protéger, mais peu importe, en fin de compte. Bien sûr, on peut interpréter cela comme sa dernière part d'innocence dans un monde brutalement mortifère, alors que l'homme qu'elle rencontre peut tout aussi bien être un ange qu'un démon - sa citation de la Bible n'en faisant pas forcément un saint, mais assurément un être religieux. Car c'est en détruisant cet oeuf après plusieurs tentatives de lui dérober (bien qu'il lui ait rendu intact par le passé) que son but se dévoile : a-t-il fait cela pour montrer à la fille qu'elle devait faire face à la cruauté de ce monde post-apoccalyptique ou est-ce par pur et simple plaisir de torturer?
Bref, en fin de compte, c'est la capacité qu'a Oshii de nous faire questionner son oeuvre qui en fait un film génial. Car les réponses sont rarement aussi intéressantes que les questions (cf. LOST), et c'est pourquoi son vrai premier long-métrage est à mes yeux son meilleur. Cette simplicité du propos décomplexé lié à une esthétique unique en font une oeuvre hors du commun. Les dessins empreints d'expressionnisme allemand rendent ce film d'autant plus inquiétant que la fille s'y promène toute seule, sans personne pour la soutenir - car l'homme qu'elle a rencontré n'aura en fin de compte pas été un soutien, seulement une énième preuve de la cruauté permanente à laquelle on doit faire face.