Critique de L'Œuvre sans auteur (Partie 2) par Rei Ayanami
Vu sur ARTE.My ★★½ review of Never Look Away on Letterboxd https://boxd.it/3b9d5J
Par
le 4 sept. 2022
Critique de la Partie 1 : https://www.senscritique.com/film/L_OEuvre_sans_auteur_Partie_1/critique/242542266
Alors que la fin de la première partie semblait faire saillir la rivalité autant que la ressemblance entre le protagoniste et son beau-père, celle-ci n'est finalement qu'une part de cette seconde partie qui se concentre peut-être plus sur l'appréhension de la vie et de l'Art par le jeune Kurt devenu adulte et passé à l'Ouest.
D'une Allemagne austère, froide, celle de la RDA communiste, on passe à la RFA, où les vitrines aux produits exportés d'Amérique remplacent les murs sales et les fresques à la gloire du prolétariat, où les costumes fades et cintrés laissent place aux styles colorés et divers. D'une certaine façon le film perd un peu de son charme qui était, on s'en rend compte, lié à l'esthétique communiste et à l'ambiance de l'Allemagne de l'Est, moins connue que celle de l'Ouest, moins américanisée.
Le capitalisme fait naitre les désirs, modifie les modes de vie, brouille les repères, fait naître des vices. Nous sommes aux débuts d'un monde qui pousse tous les autres à la fin. Kurt doit ainsi trouver sa place, celle d'un homme, celle d'un adulte, celle d'un époux, celle d'un artiste, celle d'un travailleur (devenu comme son père sans le même destin tragique), dans ce monde étrangement plus hostile que l'URSS qui, par son absence totalitaire de choix, ne créait pas d'envies, de jugement, d'inégalités, et, en étouffant, protégeait.
Florian Henckel von Donnersmarck poursuit sa lecture d'une Allemagne bipolaire, tournée vers un passé tragique et violent qui la rattrape toujours (matérialisée par le beau-père, ancien docteur nazi et tortionnaire, dont la fille dit "Il ne nous lâchera jamais !") tout autant que projetée vers un avenir radieux, libertaire et en déni de son histoire.
Par son étude des mouvements d'art moderne qui apparaissent alors en Allemagne, le réalisateur fait en filigrane le portrait d'une jeunesse qui décide, pour survivre et exister indépendamment de l'Histoire de son pays, de lui tourner le dos. On assiste donc à un art de la destruction, un art qui ment et qui tue ses ancêtres ("La peinture est morte" dira-t-on à de nombreuses reprises), un art qui n'a plus de discours, qui n'a plus rien à dire, qui n'a plus qu'à être, et qui se cherche continuellement.
Cette absurdité de l'époque est celle de son Art.
Les jeunes Allemands d'alors sont aussi déterminés que perdus, aussi conscients qu'aveugles à leur passé, aussi désireux que lassés.
D'où une partie brillante par son analyse, mais probablement moins délicieuse, car moins portée sur la recherche du Beau, plus sur la recherche du son du concept d'utilité (on en revient au thème de la première partie), délivrant par l'art moderne une absence de discours et un regard ironique fatigué parfois grinçant
Dans cet univers nouveau, Kurt doit trouver son chemin, trouver sa voie, trouver son Art.
Il prend souvent des risques (se risquant à Düsseldorf où on lui a précisément conseillé de ne pas aller ou dévoilant ses créations à son professeur connu justement pour ne jamais regarder les œuvres de ses élèves), trébuche parfois, mais se relève toujours lorsque l'Art reprend le dessus sur une existence qui ne vit que pour cela (le juste équilibre entre désarroi amoureux et syndrome de la page blanche contre la vigueur sexuelle et la pleine inspiration artistique).
Le film s'ouvre sur un Art qu'on efface, qu'on fait disparaître, sur lequel on repeint.
Un Art d'époque qui, par définition, n'est que passager, voué d'emblée à mourir.
Il se clôt pourtant sur un Art enfin né, enfin trouvé, après avoir capturé comme jamais (dans une scène en atelier d'une pure beauté, qui laisse place au geste, au regard et aux traits) sa naissance, son éclosion, un Art qui pousse et guide comme une rafale de vent, dépasse l'homme artiste, ce -dernier ne devenant plus qu'un pantin au service d'une force quasi divine qui lui serait supérieure mais intérieure, un art qui naît de la résurgence d'un passé, et de sa destruction, ou du moins de son floutage.
Kurt a trouvé sa voix, dans le vrai et dans sa beauté, tout ce que le film distillait et rappelait tranquillement tout le long de son histoire.
L'œuvre sans auteur n'est qu'un mensonge, le silence de son artiste cache le désarroi d'un homme face à la tragédie passée et le traumatisme d'enfance. Le Vrai, malgré sa violence, et le Beau se confondent, ne sont finalement qu'une même entité.
Le film se clôt alors habilement en bouclant sa boucle, finissant là où tout avait commencé, reprenant cette sensation originelle, retrouvant sa teinte bleue d'alors et, par le passage derrière un grillage qui rappelle la technique utilisée par Kurt pour peindre les photographies qu'il sélectionne, la vie devient son propre tableau.
L'œuvre sans auteur est un film fleuve d'une immense beauté, qui passe terriblement vite, bien trop vite, une œuvre nécessaire sur l'Art, sur l'Histoire, sur l'Amour, sur la Beauté, et le rapport au Vrai, une histoire en apparence sans enjeux, toujours simple, sans violence malgré son sujet, sans accroc scénaristiques faciles.
Une histoire tout simplement belle pour une œuvre riche sans jamais être complexe.
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Créée
le 24 févr. 2021
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